Sépulcre
dos.
Léonie savait que Saunière avait vu ces statues du vivant de son oncle. Pourquoi, douze ans plus tard, avait-il choisi de reproduire des images qui avaient fait autant de tort autrefois ? Elle n’y comprenait rien. En l’absence de son ami et mentor Audric Baillard, elle ne pouvait discuter de ses craintes avec personne.
Le mécontentement se répandit de la montagne à la vallée et jusqu’à Rennes les Bains. On chuchotait que les maux qui s’étaient abattus sur la ville quelques années auparavant allaient à nouveau sévir. On parlait de tunnels secrets reliant Rennes-le-Château et Rennes-les-Bains, de chambres funéraires wisigothes. On prétendait que le Domaine de la Cade abritait une bête féroce. Des chiens, des chèvres et même des bœufs furent attaqués par des loups ou des chats sauvages qui ne semblaient redouter ni les pièges, ni les fusils des chasseurs. Selon la rumeur, ces massacres étaient perpétrés par une créature surnaturelle.
Bien que Pascal et Marieta tentassent d’empêcher les ragots de parvenir jusqu’aux oreilles de Léonie, elle eut vent de ces récits malveillants. La campagne de calomnies était subtile, aucune allégation n’était prononcée à haute voix, de sorte que Léonie était incapable de répondre à la pluie d’accusations dirigées contre le Domaine de la Cade et ses habitants.
Il était impossible d’identifier la source de ces bruits, mais ils s’intensifiaient. Un printemps froid et humide succéda à l’hiver, et les rumeurs d’événements surnaturels au Domaine de la Cade se multiplièrent. Des apparitions de fantômes et de démons, des rituels sataniques célébrés de nuit dans le sépulcre : on en était revenu aux jours sombres de l’époque où Jules Lascombe était le maître du domaine. Les jaloux et les aigris rappelaient les événements de la veille de la Toussaint 1891 ; on prétendait que la terre ne trouvait pas le repos. Qu’elle cherchait à châtier les péchés commis dans le passé.
D’anciennes formules magiques en langue d’oc furent tracées sur les rochers en bord de route pour chasser le démon qui rôdait dans la vallée, comme jadis. Des pentagrammes furent dessinés au goudron noir. Des offrandes votives de fleurs et de rubans furent déposées sur des autels improvisés.
Un après-midi, alors que Léonie était assise avec Louis-Anatole sur son banc préféré, sous les platanes de la place du Pérou, une phrase, lâchée d’une voix cassante, attira son attention.
« Lou Diable se ris. »
Quand elle rentra, elle demanda à Marieta le sens de ces paroles.
— Le Diable se rit, traduisit-elle à contrecœur.
Si Léonie n’avait pas su que c’était impossible, elle aurait soupçonné Victor Constant d’être à l’origine de cette campagne.
Elle se reprocha d’avoir pu le penser.
Constant était mort. Du moins selon la police. Il était forcément mort. Autrement, pourquoi les aurait-il laissés en paix pendant près de cinq ans, pour ne revenir qu’aujourd’hui ?
90.
Carcassonne
Lorsque la chaleur de juillet eut bruni les verts pâturages de Rennes-le-Château et de Rennes-les-Bains, Léonie se sentit incapable de supporter plus longtemps sa réclusion. Elle avait besoin de changer d’air.
Les rumeurs au sujet du Domaine de la Cade s’étaient encore intensifiées.
D’ailleurs, l’ambiance lors de sa dernière visite à Rennes-les-Bains avec Louis Anatole avait été si désagréable qu’elle avait décidé de ne plus y mettre les pieds, du moins pendant quelque temps. Les salutations et les sourires de jadis s’étaient mués en silences et en regards soupçonneux. Elle ne voulait pas exposer Louis-Anatole à de telles rebuffades.
Léonie avait choisi, pour son excursion, le jour de la fête nationale. Carcassonne donnait un spectacle de feux d’artifice au-dessus de la citadelle médiévale. La jeune fille ne s’y était pas rendue depuis son bref et malencontreux séjour avec Anatole et Isolde, mais pour faire plaisir à son neveu – ce serait un cadeau un peu tardif pour son cinquième anniversaire – elle passerait outre ses mauvais souvenirs.
Elle devait convaincre Isolde de les accompagner. Sa tante était de plus en plus nerveuse ces derniers temps. Elle soutenait qu’elle était suivie, épiée depuis l’autre rive du lac, qu’il y avait des visages sous l’eau. Elle voyait de la fumée dans les bois même lorsqu’il n’y avait pas de feu. Léonie
Weitere Kostenlose Bücher