Sépulcre
pour écrire à l’ancien ami et voisin d’Anatole, Achille Debussy. Elle savait qu’il se faisait désormais appeler Claude Debussy, bien qu’elle fût incapable de lui donner ce prénom.
Leur correspondance combla la solitude de son existence confinée, mais surtout, elle apaisa un peu son cœur brisé en l’aidant à conserver un lien avec Anatole. Achille lui racontait ce qui se passait sur les boulevards où Anatole et elle s’étaient jadis sentis chez eux : les disputes, les rivalités mesquines à l’Académie, les auteurs en vogue ou en disgrâce, les querelles d’artistes, les compositeurs snobés, les scandales et les adultères.
Léonie n’éprouvait aucun intérêt pour ce monde désormais si lointain, si fermé, mais il lui rappelait ses conversations avec Anatole. Parfois, jadis, quand il revenait d’une nuit passée en compagnie d’Achille au Chat Noir, il entrait chez sa sœur, s’affalait dans le vieux fauteuil au pied de son lit et Léonie, couvertures tirées jusqu’au menton, l’écoutait raconter ses histoires. Debussy parlait surtout de lui-même, couvrant des pages entières de son écriture en pattes de mouche, mais, loin d’ennuyer Léonie, cela la distrayait de ses malheurs. Elle souriait lorsqu’il lui décrivait ses visites du dimanche matin à l’église Saint-Gervais pour écouter des chants grégoriens avec ses amis athées, assis dos tourné à l’autel en signe de défi, offensant à la fois les fidèles et le prêtre.
Léonie ne pouvait quitter Isolde et, même si elle avait pu voyager, l’idée de rentrer à Paris lui eût été pénible. Il était trop tôt. À sa demande, Achille et Gaby Dupont se rendaient régulièrement au cimetière de Passy dans le 16 e arrondissement pour déposer des fleurs, sur la tombe de Marguerite Vernier. Cette tombe, payée par Du Pont dans un dernier accès de générosité, jouxtait celle du peintre Édouard Manet, lui écrivait Achille. C’était un lieu paisible, ombragé. Léonie se disait que sa mère était heureuse de reposer en une telle compagnie.
Le temps changea : avril débarqua comme un général sur un champ de bataille, agressif, bruyant et belliqueux. Des bourrasques déferlaient des montagnes. Les journées commencèrent à rallonger, les matins devinrent plus lumineux. Marieta sortit ses aiguilles et ses bobines de fil. Elle ajouta des lés généreux aux chemises d’Isolde et défit les pinces de ses jupes pour accommoder sa silhouette arrondie.
Des fleurs des champs mauves, blanches et roses percèrent timidement la terre durcie pour lever leurs visages vers le soleil. Leurs éclaboussures colorées comme des gouttes de peinture devinrent plus vives et plus nombreuses, vibrant sur le fond de verdure des plates-bandes et des sentiers.
Mai arriva sur la pointe des pieds, annonciateur des longs jours de l’été et des rayons de soleil miroitant sur l’eau calme. Lorsqu’elle se rendait à Rennes-les-Bains, Léonie passait chez M. Baillard ou prenait le thé avec M me Bousquet dans le salon de l’hôtel de la Reine. Devant les modestes maisons de la ville, des canaris chantaient dans les cages suspendues aux fenêtres. À tous les coins de rue, on vendait dans des brouettes les primeurs importées d’Espagne.
Le Domaine de la Cade resplendit soudain sous un ciel bleu infini. L’éclatant soleil de juin frappa les pics blancs des Pyrénées. L’été était enfin arrivé.
De Paris, Achille écrivait à Léonie que maître Maeterlinck lui avait accordé la permission de faire un opéra de sa nouvelle pièce, Pelléas et Mélisande. Il lui envoyait aussi un exemplaire de La Débâcle de Zola, dont l’action se déroulait durant l’été 1870 et la guerre franco-prussienne. Il y avait joint un mot pour préciser que cela aurait intéressé Anatole autant que lui, puisqu’ils étaient tous deux fils de communards. Léonie eut du mal à lire le roman, mais elle fut reconnaissante à Achille de ce cadeau si attentionné.
Elle ne se permettait pas de repenser au jeu de tarot. Il était lié aux événements sinistres de la veille de la Toussaint, et bien qu’elle ne parvînt pas à persuader l’abbé Saunière de lui raconter ce qu’il avait vu ou fait pour son oncle, M. Baillard l’avait mise en garde contre le démon Asmodée, qui rôdait dans les vallées durant les périodes de bouleversements. Bien qu’elle ne crût pas à ces superstitions, du moins s’en persuadait-elle, Léonie ne
Weitere Kostenlose Bücher