Sépulcre
l’homme de main de Constant avait facilement retrouvé la piste du cocher qui avait transporté les Vernier à la gare Saint-Lazare le vendredi matin, puis celle du deuxième fiacre qui les avait emmenés de là à la gare Montparnasse. Un nouvel élément, encore ignoré des gendarmes du 8 e arrondissement.
Ce n’était pas grand-chose, mais assez pour convaincre Constant de prendre un train vers le sud. Si les Vernier séjournaient à Carcassonne, il serait facile de les débusquer. Avec ou sans la putain. Il ignorait sous quel nom elle vivait à présent. Il savait juste que le nom qu’il lui avait toujours connu était gravé sur un tombeau du cimetière Montmartre et que ce stratagème l’avait conduit à une impasse.
Constant arriverait à Marseille plus tard dans la journée. Demain il prendrait le train côtier de Marseille à Carcassonne et se tapirait au cœur de la vieille cité médiévale. Telle une araignée aux aguets dans sa toile, il attendrait que sa proie soit à sa portée.
Tôt ou tard, les gens parleraient. Ils parlaient toujours. Des murmures, des rumeurs. La jeune Vernier était d’une beauté frappante. Parmi les gens du Midi, mats de peau et noirs de cheveux, son teint pâle, ses cheveux cuivrés ne passeraient pas inaperçus.
Cela prendrait du temps, mais il les trouverait.
De ses mains gantées, Constant sortit de sa poche la montre de Vernier. Avec son boîtier en or marqué d’un chiffre en platine, c’était un bel objet, qu’il avait plaisir à posséder pour le simple fait qu’il appartenait à Vernier.
Un prêté pour un rendu.
Son visage se durcit. Il la voyait sourire à Vernier comme elle lui souriait jadis. Une vision insoutenable surgit dans son esprit tourmenté. Elle, dévêtue, offerte aux yeux de son rival…
Pour se changer les idées, Constant plongea la main dans sa mallette en cuir en quête de quelque chose qui l’aiderait à passer le temps. Il effleura le couteau qui avait tranché la vie de Marguerite Vernier, glissé dans son étui en cuir, et sortit deux livres, Le Voyage souterrain de Nicholas Klimm et Les Merveilles du Ciel et de l’Enfer de Swedenborg. Mais aucun ne fut à son goût, et il les échangea contre un autre, le Traité de Chiromancie de Robert Fludd.
Encore un souvenir. Ce livre-là s’accordait parfaitement à son humeur du moment.
38.
Rennes-les-Bains
À peine Léonie avait-elle quitté la bibliothèque qu’elle fut accostée dans le vestibule par Marieta et s’empressa de cacher le livre derrière son dos.
— Madomaisèla, votre frère m’envoie vous informer qu’il projette de faire une visite à Rennes-les-Bains ce matin. Il serait ravi que vous veniez avec lui.
Léonie n’hésita qu’un court instant. Elle avait hâte de mettre ses propres projets à exécution, à savoir explorer le Domaine à la recherche du sépulcre. Mais cette expédition pouvait attendre. Tandis qu’une escapade en ville avec Anatole, cela ne se refusait pas.
— Veuillez faire savoir à mon frère que je me ferai une joie de l’accompagner.
— Très bien, madomaisèla. La voiture sera prête à 10 h 30.
Grimpant les marches deux par deux, Léonie regagna vite sa chambre et jeta un regard à la ronde, en quête d’une bonne cachette. Elle n’avait pas envie d’exciter la curiosité des domestiques en laissant bien en vue un ouvrage tel que Les Tarots. Ses yeux se posèrent sur la boîte à ouvrage. Elle ouvrit le couvercle incrusté de nacre et enfouit le livre sous l’amas de bobines de fil, d’écheveaux de coton, de chutes de tissu, de dés à coudre, d’étuis d’aiguilles et d’épingles.
Quand elle redescendit dans le vestibule, Anatole ne s’y trouvait pas. Elle s’aventura sur la terrasse située à l’arrière de la propriété et s’appuya sur la balustrade qui surplombait les pelouses. Le soleil perçait les nuages par une trouée de rais obliques, et ce contraste violent entre ombre et lumière était éblouissant. Elle inspira profondément l’air frais et pur, qui la changeait tant de l’air pollué de Paris, puant la suie et le métal chauffé. Là-bas, le brouillard et les fumées formaient une chape qui pesait continuellement sur la ville.
Sur les parterres de fleurs en contrebas, le jardinier et son aide s’occupaient d’attacher des tuteurs aux arbustes, auprès d’une brouette en bois remplie de feuilles mortes qu’ils avaient ratissées, d’un rouge vineux. Le plus vieux portait une
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