Sépulcre
bâtiments modernes, ses piscines, ses larges baies vitrées, ses vérandas. D’étroites marches en pierre descendaient directement des terrasses au bord de l’eau, où s’alignaient des cabines de bain individuelles. C’était un temple dédié au progrès et à la science, un sanctuaire des temps modernes pour pèlerins en quête de bien-être et de guérison.
Une infirmière poussait un patient sur une chaise roulante. Sa coiffe blanche voletait sur sa tête comme les ailes d’un grand oiseau de mer. Sur la berge, au pied de l’allée des Bains-de-la-Reine, une pergola en fer forgé en forme de couronne abritait de l’ardeur du soleil. À l’extérieur d’un kiosque ambulant au guichet ouvert, une forte femme aux bras hâlés coiffée d’un foulard clair vendait des bolées de cidre pour un ou deux centimes. À côté du kiosque, qui ressemblait fort à une roulotte, il y avait une sorte de pressoir à dents métalliques, dans lequel un petit garçon aux mains couvertes de cicatrices, perdu dans une chemise bien trop grande pour lui, enfonçait des pommes reinettes rouges et grises.
Anatole fit la queue et acheta deux bolées. Le cidre était en fait du jus de pomme, qu’il trouva trop douceâtre à son goût. Mais Léonie s’en régala et finit même le verre de son frère après avoir bu le sien, en crachant dans son mouchoir quelques pépins oubliés.
En face, la rive droite avait un tout autre aspect. Il y avait moins d’immeubles, et ceux-ci étaient accrochés au flanc de la colline. De petites maisons modestes étaient disséminées çà et là au milieu des arbres, qui descendaient presque jusqu’au bord de l’eau. C’était le quartier des artisans, domestiques et boutiquiers, dont les revenus dépendaient des maux, réels ou imaginaires, des bourgeois venus de Toulouse, de Perpignan, de Bordeaux. Des curistes étaient assis dans l’eau fumante et ferrugineuse des bains forts, où l’on accédait par une allée privée couverte. Sur la rive, infirmières et domestiques attendaient patiemment que leurs maîtres sortent de l’eau pour leur tendre les draps de bain qu’ils portaient, pliés sur leurs bras.
Quand ils eurent exploré la petite ville à la grande satisfaction de Léonie, elle se plaignit que ses bottines lui faisaient mal et qu’elle était un peu fatiguée. Ils retournèrent place du Pérou et dépassèrent le bureau des Postes et Télégraphes.
Anatole proposa d’aller manger un morceau dans une jolie brasserie, sur le côté sud de la place.
— Est-ce que ça te va ? s’enquit-il en indiquant de sa canne la seule table restée libre. Ou préfères-tu déjeuner à l’intérieur ?
Le vent qui sifflait doucement faisait vibrer les volets en s’engouffrant entre les immeubles et dans les ruelles. Léonie regarda les feuilles rouges et dorées qui tournoyaient dans l’air, les taches de soleil qui jouaient délicatement sur l’immeuble couvert de vigne vierge.
— Dehors, répondit-elle. C’est charmant et ça me convient très bien.
— Je me demande si ce vent est celui qu’on appelle le cers, lui dit Anatole en s’asseyant face à elle. Selon Isolde, c’est un vent du nord-ouest qui descend des montagnes, contrairement au marin, qui vient de la Méditerranée. Ou bien est-ce le mistral ?
Au serveur, il commanda pour deux un pâté maison, une salade de tomates et une faisselle de fromage de chèvre accompagnée d’amandes et de miel, avec un pichet de rosé bien frais.
Léonie grignota un morceau de pain pour calmer son appétit.
— J’ai visité la bibliothèque ce matin, dit-elle. Il y a un bon choix de livres, varié et intéressant. Je suis surprise que tu n’y aies pas passé la soirée d’hier, au lieu de nous tenir compagnie.
— Que veux-tu dire ? fit-il en lui lançant un regard aigu.
— Seulement qu’il y a là de quoi t’occuper un bon bout de temps. D’ailleurs, je me demande comment tu as réussi à trouver l’ouvrage de M. Baillard parmi tant d’autres. Pourquoi prends-tu cet air ? questionna-t-elle en le scrutant.
— Pour rien, répondit Anatole en tortillant les coins de sa moustache.
Sentant qu’il se dérobait, Léonie posa sa fourchette.
— Puisqu’on en parle, j’ai été surprise que tu n’aies pas remarqué la collection, quand tu es venu me rejoindre dans ma chambre hier soir, avant le souper.
— Remarqué quoi ?
— Eh bien, la collection de beaux livres, d’abord. Et puis les livres
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