Sépulcre
d’un cri, apportant avec lui la puanteur de l’Enfer et les profondeurs de la mer, si oppressant que je crus que mon crâne allait exploser. En bredouillant, je continuai à réciter frénétiquement les noms qui figuraient sur les cartes : Le Fou, La Tour, La Force, La Justice, Le Jugement. Appelais-je les esprits des cartes qui s’étaient manifestés pour me venir en aide, ou étaient-ce eux qui m’empêchaient d’atteindre le carré ? Ma voix semblait comme extérieure à moi. Basse au début, elle s’amplifia, gagna en volume, en intensité, et emplit le sépulcre de sa puissance.
Alors, comme je me sentais incapable de résister plus longtemps, quelque chose se retira de moi, de ma présence, s’extirpa de ma peau comme les griffes d’une bête sauvage lâchant prise en raclant la surface de mes os. Il y eut un souffle d’air. Et la pression exercée sur mon cœur défaillant se relâcha.
Je tombai prostré sur le sol, presque inconscient, mais percevant encore les notes, ces mêmes quatre notes, qui allaient s’atténuant ainsi que les murmures et soupirs des esprits, qui faiblirent, puis disparurent.
J’ouvris les yeux. Les cartes étaient retournées une fois de plus à leur léthargie. Sur les murs de l’abside, les peintures étaient inanimées. Alors une impression de vide et de paix tomba soudain sur le sépulcre, et je sus que tout était terminé. L’obscurité se referma sur moi. Je ne sais combien de temps je demeurai là, inconscient.
J’ai consigné la musique du mieux que j’ai pu. Les marques sur les paumes de mes mains, tels des stigmates, ne se sont pas effacées.
Léonie émit un long sifflement. Elle tourna la page. Plus rien.
Un moment elle resta à fixer les dernières lignes du manuscrit. Quelle histoire extraordinaire. Une mystérieuse interaction entre la musique et le lieu avait donné vie aux figures des cartes et, si elle avait bien compris, appelé ceux qui étaient passés de l’autre côté. Au-delà du voile… comme l’indiquait le titre inscrit sous le papier paraffiné.
Et mon oncle en est l’auteur, pensa Léonie.
Sur le moment, l’idée que quelqu’un de sa famille ait pu produire un tel récit et qu’elle n’en ait jamais entendu parler lui sembla aussi inouïe que le reste.
Et pourtant…
Léonie réfléchit en se radossant au fauteuil. Dans l’introduction, son oncle affirmait la véracité de son témoignage. Qu’entendait-il quand il parlait du pouvoir de « pénétrer dans une autre dimension » et de ses autres êtres, « passés et à venir » ? Une fois invoqués, les esprits s’étaient-ils ensuite retirés là d’où ils étaient venus ?
En frémissant, Léonie se retourna pour jeter un coup d’œil par-dessus son épaule, avec la sensation que quelqu’un se tenait debout derrière elle. Elle scruta l’ombre des alcôves de chaque côté de la cheminée et les coins poussiéreux, derrière les tables et les rideaux. Les esprits erraient-ils toujours dans la propriété ? Elle songea à la silhouette qu’elle avait vue traverser les pelouses, la veille au soir.
Une prémonition ? Ou autre chose ?
Vaguement amusée de voir combien elle se laissait entraîner par son imagination, Léonie secoua la tête et revint au livre. Si elle prenait ce que disait son oncle au pied de la lettre et donnait foi à ses dires, alors le sépulcre se trouvait-il ici, au Domaine de la Cade ? Elle inclinait à le penser, en particulier parce que les notes de musique requises pour appeler les esprits, C, D, A, E, correspondaient aux lettres du nom de la propriété : Cade.
Léonie appuya son menton sur sa main. Son sens pratique prit le dessus. Si vraiment ce sépulcre se trouvait dans l’enceinte du domaine, il devrait être assez aisé de le vérifier. Et il semblait raisonnable de penser qu’un domaine de cette importance possédât une chapelle ou un mausolée dans son parc. Sa mère ne l’avait jamais évoqué, mais elle avait si peu parlé de la propriété. Tante Isolde non plus n’en avait pas fait mention, mais ils n’avaient pas abordé le sujet au cours de leur conversation, et elle avait reconnu elle-même n’avoir que de vagues connaissances sur l’histoire du domaine familial de son mari.
Si le sépulcre existe toujours, je le découvrirai, se dit-elle.
Un bruit venant du couloir attira son attention.
Aussitôt, elle cacha le volume sur ses genoux. Elle ne voulait pas qu’on la trouve plongée dans ce genre
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