Serge Fiori : s'enlever du chemin

chanson. Les
spectateurs reprenaient ces paroles pendant de très longues minutes. Ils étaient à la fois transportés par la pièce et
peu pressés de voir s’achever ce grand moment d’histoire
musicale auquel ils venaient d’assister.
    Après une telle expérience d’osmose et de communion avec le public, comment les membres du groupe
pouvaient-ils rentrer chez eux comme s’ils revenaient du
boulot   ? Serge a de plus en plus de difficulté à être présent
auprès de Lucie   ; il se sent hors du temps et de l’espace. Il
a l’impression de faire partie d’un tout plus grand que lui.
Il a en quelque sorte l’impression d’être décalé et sorti de
son propre corps. Il lui faut des heures pour se remettre
de cette intensité que seuls les autres membres du groupe
peuvent comprendre. Lucie en paie chèrement le prix   :
«   Serge était devenu un canal de musique. Il était tellement
engagé, tellement enveloppé par la musique, tellement
concentré sur son public et sur la politique, qu’on aurait
dit qu’il était devenu aveugle, sourd et muet au reste de sa
vie. Il réalisait sa mission de vie, parce qu’il se nourrissait,
s’apaisait, se berçait avec sa musique.   » Elle songe alors à
le quitter.
    Par ailleurs, la nouvelle vie professionnelle de Serge ne
lui permet malheureusement pas d’entretenir ses relations
d’enfance   : les rencontres avec les cousines se font plus rares. La famille s’éloigne, tout doucement…
    Mais pas Georges   !
    Le père, de son côté, jubile   : il est si fier de son fils   ! Chaque fois qu’il le peut, il accompagne le groupe, participe
aux enregistrements, paye la traite à tout le monde, offre
de somptueux soupers… Et paie avec l’argent qu’il n’a pas.
Néanmoins, Serge se sent proche de son père   ; ils s’aiment
profondément, et le jeune Fiori est content de voir cet
homme graviter autour du groupe. Claire, quant à elle,
s’intéresse beaucoup moins à la carrière naissante de son
fils   ; elle reçoit avec plaisir les compliments de ses clientes,
elle est flattée et fière, mais pas suffisamment pour aller
voir Serge sur scène. Durant toute la carrière de son fils, sa
mère n’assistera qu’à deux spectacles.
Album Si on avait besoin d’une cinquième saison
    Harmonium, Serge Fiori en tête, est à la recherche, pour
le second album, d’une autre texture, d’un autre son. Déjà,
sur l’album initial, s’étaient glissées des modulations plus
classiques, qui avaient donné aux membres le goût d’explorer davantage cette voie. Cette amplitude plus classique transparaissait déjà, sur le premier album, dans la
pièce Harmonium   : à la fin du morceau, une trompette à la
sonorité classique fait son apparition, menant la pièce du
folk au classique. On désire aller plus loin dans cette voie.
Le groupe prend une pause salutaire – les choses sont allées si vite au cours des derniers mois – et décide de laisser
mûrir cette idée. Serge part pour l’Europe avec Lucie, et
de son côté, Louis fait de même avec Jacqueline. Les deux
couples ne voyagent pas ensemble, tout au plus se croiseront-ils dans différents aéroports. Cette pause ne peut
qu’être bénéfique, et peut-être servira-t-elle à ressouder
les liens au sein des couples, que la tournée d’Harmonium
a mis à mal.

    Au retour de ce voyage, Fiori prend contact avec Pierre
Daigneault. Les deux hommes s’étaient connus quelques
années auparavant, alors que Serge jouait toujours dans
l’orchestre de son père. Un soir qu’il assistait à un spectacle du band de Georges, Daigneault avait été médusé par
la prestation de Serge, un musicien hors norme qui, en
dépit du contexte de musique populaire italienne, y allait
de solos pour le moins expérimentaux. Il l’avait jugé très
talentueux et avait souhaité lui parler. À la fin du spectacle,
il avait offert à Serge et à Michel Normandeau d’aller les reconduire chez eux. Durant le trajet, les deux musiciens lui
avaient raconté qu’ils travaillaient à la réalisation d’un album ( Harmonium ) et l’avaient invité à venir les voir jouer
leurs pièces. Pierre Daigneault, passionné de musique alternative, lui-même membre de l’Infonie, un groupe fondé
par Walter Boudreau qui se consacrait à l’expérimentation
musicale, accepte tout de suite. De son côté, il les invite à
venir le voir au Esquire Show Bar, rue Stanley, une