Serge Fiori : s'enlever du chemin

scène
où l’on présentait alors du jazz, de la musique funk et du
rock   : Serge et Michel constatent alors à quel point il manie avec brio la flûte traversière, le piccolo, le saxophone
et la clarinette. La connexion est immédiate entre les trois
hommes, et dès lors, Pierre se joint occasionnellement aux
deux autres dans les cafés et les petites salles, où ils développent ensemble un son nouveau, différent, qui colorera
le prochain album d’Harmonium.
    Expérimental et symphonique, ce deuxième album est
effectivement fort différent. En compagnie de Pierre, ils
ébauchent Vert et Dixie , deux pièces qu’ils testent devant
public durant la tournée du premier album. À l’occasion,
Pierre est donc invité à se joindre au groupe pour ces spectacles. En plus d’exécuter les deux pièces présentées en
primeur au public, Daigneault joue sur scène les passages
à la flûte traversière, interprétés par Allan Penfold sur l’album Harmonium . Il est aussi présent lors de la Saint-Jean-Baptiste, à l’hôtel Nelson. Pour Pierre, cette expérience demeure mémorable. «   Quelle belle époque   ! Jouer avec eux
était de l’art. On pratiquait et on avait du fun. Ça cliquait.
On se regardait, Serge faisait quatre barres, je faisais quatre
barres, on riait intérieurement. Un gros trip musical. On se
foutait de l’argent, on n’en parlait même pas. On recevait
notre cachet selon notre participation, point à la ligne.   »
    Mais l’équipe, pour ce second album du groupe, n’est
pas encore complète. Serge cherche encore à diversifier le
son du groupe, à en étendre le registre, lorsqu’il pense à
Serge Locat. Il ne le connaît pas personnellement, mais il
vient d’apprendre qu’il possède un Mellotron, un appareil
polyphonique à clavier qu’utilise notamment le groupe
Genesis et qui consiste à retenir, sur des bandes magnétiques, des sons musicaux préalablement enregistrés. On
peut, par exemple, y enregistrer un son de violon, que la
simple pression d’une touche du clavier restitue, pour une
durée plus ou moins longue, à la façon d’un échantillonneur. Les possibilités sont infinies, et l’appareil permet littéralement d’obtenir un son symphonique sur demande.
    En 1970, Serge Locat faisait partie du groupe Nécessité,
formation qui se produisait alors en première partie du
groupe britannique Gentle Giant dans les grandes villes de
l’est du Canada. Kerry Minnear, le claviériste du groupe,
avait un jour fait essayer son Mellotron à Locat. Ce dernier, aussitôt amoureux de l’instrument, avait décidé de
s’en procurer un sur-le-champ. Aidé de son ami Kinnear,
Serge Locat avait fait des recherches intensives pour découvrir que le Mellotron était introuvable en Amérique.
Il avait dû se rendre à Londres, où il en a avait acheté un
pour le rapporter à Montréal. Rentré chez lui avec sa nouvelle acquisition, la rumeur s’était répandue comme une
traînée de poudre dans le milieu musical montréalais. Gérald Loiselle, des Productions Perles, en avait informé Yves
Ladouceur, qui s’était empressé de transmettre l’information à Serge Fiori. Celui-ci, conscient des possibilités extraordinaires du Mellotron, avait alors demandé à Serge Locat
de venir auditionner pour Harmonium. L’audition fut un
succès, et à peine quelques jours après la rencontre des
deux hommes, le temps pour Fiori de prévenir les autres
membres du groupe, Locat recevait la visite d’Harmonium
chez lui, à Saint-Roch-de-l’Achigan. Les musiciens lui proposent alors de se joindre à eux à titre de claviériste.
    Occupé à monter un groupe de musique progressive
avec son ami et batteur Christian Beaudoin, et ne connaissant pas Harmonium, Locat demande un temps de réflexion avant d’accepter. Même s’il sait qu’Harmonium a
vendu des dizaines de milliers d’exemplaires de son album,
il souhaite voir le groupe en spectacle avant de s’engager.
Heureusement, celui-ci donne un spectacle en plein air la
semaine suivante à Ottawa. Serge Locat et sa compagne y
assistent et le claviériste en revient ravi   : il accepte l’offre
du groupe. Son ami Christian, à l’annonce de la nouvelle,
lui lance   : «   Hé, man, t’es chanceux, c’est le groupe le plus hot au Québec   !   » Ce que Serge ignorait.
    Serge Locat débarque donc avec son Mellotron quelques
jours plus tard à Outremont, chez Serge Fiori, où le groupe
est réuni.