Serge Fiori : s'enlever du chemin
scène. Prenant son courage à deux mains, Fiori s’approche
de son idole et s’immobilise, un sourire un peu niais aux
lèvres. Il balbutie. Taylor le regarde en riant, se penche un
peu et lui dit : « Ah ! vous êtes Harmonium ! Je vous ai vus
sur le programme. J’ai vraiment hâte de vous entendre. »
Serge se retire sans rien ajouter, avec l’impression de s’être
comporté en demeuré. Plus tard, quand Taylor fait un test
de son en prévision de son spectacle, Fiori s’installe à la
console et épie les moindres mouvements du guitariste,
étudie les amplificateurs qu’il utilise, son instrument, tout.
Taylor plaque un accord et la salle s’emplit aussitôt de ce
son unique dans le monde musical, si caractéristique. Que
Taylor travaille dans une salle de deux cents personnes ou
dans un amphithéâtre, sa musique emplit toujours tout
l’espace, un mystère que Fiori n’a jamais percé à ce jour,
mais qu’il a toujours tenté de reproduire.
Les musiciens d’Harmonium, ce soir-là, donnent un de
leurs meilleurs spectacles en carrière ; dans la salle, il y a
des Américains, des Français, des Britanniques. Tout le
monde est debout tout au long de la prestation et applaudit chaleureusement le groupe à la fin. Dans les coulisses,
James Taylor observe les musiciens d’Harmonium et goûte
leur prestation. Juste là, sur le bord du rideau, affichant un
beau sourire réconfortant. Ils sortent de scène et Taylor arrête Serge Fiori, pose la main sur son épaule et le complimente : « Wow, man ! This was so great ! » Fiori n’en croit
pas ses oreilles. Puis, c’est au tour de James Taylor. Serge
exulte ; c’est la première fois qu’il voit son idole live , Taylor
venant rarement à Montréal. « C’est d’une perfection infinie, lance Serge émerveillé. Ça ne se décrit pas. Sa voix est
dans la salle. Ça n’a pas de bon sens. Et tous les musiciens
qui sont là sont nos références à nous, à la basse, à la batterie… Je suis transporté, carrément, je lévite… »
Les spectacles terminés, Serge avale quelques cocktails et rentre à sa chambre d’hôtel. Là, devant la fenêtre
qui donne sur la ville, il contemple Londres, dans un état
de béatitude. Il se revoit, adolescent, en compagnie de
Réal, dans cette grande ville mythique. Il est envahi par
ses souvenirs. Incapable de dormir, il pille le minibar de la
chambre, et s’assoit confortablement pour rêvasser quand
on frappe à la porte : James Taylor et son assistant entrent
dans sa chambre ! Serge craint de défaillir quand Taylor lui
annonce : « J’ai beaucoup aimé ce que vous avez fait, j’adore votre son, surtout celui des guitares. Je me demandais…
je peux t’emprunter tes guitares pour la nuit ? » Il est une
heure du matin… Serge lui demande de quelle nuit il parle
et Taylor le regarde, perplexe, comme si la réponse allait de
soi. Serge comprend enfin et ne rajoute rien. Il lui tend ses
trois guitares… et n’ose pas demander s’il peut accompagner son idole. Il rate ainsi l’occasion d’aller faire de la musique dans le plus gros studio de Londres, en compagnie
de James Taylor… « Ma fenêtre donne sur l’entrée de l’hôtel. Je le vois sortir avec sa chemise blanche, anonyme, et
mes guitares. Toute la nuit, je reste devant la fenêtre à me
demander quand il va revenir. À six heures du matin, frais
comme une rose, il descend du taxi et monte me porter
mes guitares. “C’était cool, j’ai appris plein de trucs. Merci
beaucoup, j’apprécie vraiment. Bye, Serge”. »
Notre musicien s’écroule dans son lit, ému et épuisé.
Serge Fiori, il s’en rend compte, joue désormais dans la
cour des grands. La veille, lors de leur spectacle à eux, ils
ont encore une fois prouvé la qualité de leur prestation live . Au bout de quatre ou cinq accords, la salle était bouche bée et attentive. Plus personne, dans le milieu de la
musique internationale – les Canadiens, les Américains,
les Européens –, ne doute de la valeur planétaire du travail
d’Harmonium ; si Fiori avait fait le choix de chanter en anglais, c’est sans doute Harmonium qui aurait présenté le
spectacle de clôture de la convention.
L’heptade dans les arénas et les centres sportifs
En ce début d’année 1977, Harmonium présente donc l’heptade dans la majorité des arénas et des centres sportifs des grandes villes du
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