Serge Fiori : s'enlever du chemin
peut facilement remplir cette condition, mais son cœur de souverainiste s’oppose à sa raison.
De retour à Montréal, Harmonium se réunit et Serge
annonce qu’il ne chantera pas en anglais. L’offre de CBS
reste sur la glace. Fiori ne lui donnera jamais suite. Au sein
du groupe, c’est la déception ; tous les musiciens rêvent de
ce genre de projet-là et s’en approcher autant pour reculer
à la dernière minute s’avère frustrant pour eux. Certains
pensent que l’argument nationaliste et francophile de Serge cache autre chose, mais ils ignorent quoi.
Peu à peu, au moment même où ils doivent prendre
cette difficile décision se profile un autre projet : une série
de concerts en Europe, en première partie de Supertramp,
le groupe britannique. Serge se prononce contre l’idée ; le
groupe n’a jamais fait de premières parties et il ne souhaite
pas commencer maintenant. Ça discute fort : leur agent
argue que ce n’est pas vraiment une première partie, mais
plutôt un spectacle conjoint, dont ils seraient les covedettes. De guerre lasse, Serge accepte. Cette renonciation à ses
idéaux personnels sonne un peu le début de la fin d’Harmonium et donnera lieu à des tensions que les membres
n’avaient jusque-là pas connues.
En outre, Serge se méfie du mystère qui entoure les ventes des albums d’Harmonium en France. Il est convaincu
que le disque se vend bien, mais le groupe n’a pas accès aux
chiffres. Il parie avec les musiciens du groupe que le public
français connaîtra déjà quelques airs d’Harmonium : la
suite lui donnera, hélas ou heureusement, raison. En compagnie de Supertramp, le groupe participe donc, en 1977,
à cette tournée des principales villes francophones d’Europe : Paris, Bruxelles, Bruges, Lyon, Marseille et Genève.
Fiori a une autre raison d’accepter, une raison qu’il garde
pour lui : il souhaite faire la rencontre de Roger Hodgson,
le leader du groupe anglais, dont il apprécie le travail thématique et la recherche musicale, deux éléments qui s’apparentent, lui semble-t-il, aux intérêts d’Harmonium.
Il aime la manière dont Hodgson entre dans sa bulle, de
façon énergique, mais tout en douceur. Dès leur premier
contact, à Paris, les deux hommes s’entendent à merveille.
Ils passent beaucoup de temps ensemble et, dans les autobus qui les mènent de ville en ville, discutent musique,
arts, politique. Une solide amitié se forge ; durant des années, chaque fois qu’Hodgson est débarqué à Montréal, il
n’a pas manqué de recevoir Serge à son hôtel pour passer
du temps en sa compagnie et l’inviter à son spectacle.
C’est pendant cette même tournée européenne que Fiori fait la rencontre de Jaco Pastorius, la quatrième légende,
dont les albums ont influencé l’écriture de l’heptade. Au
hasard des dates de tournée, ils se croisent dans les villes
européennes, aux terrasses des restaurants, où Pastorius
boit sa bière, et prépare sa ligne de coke . Serge va le voir en
spectacle, assiste aux tests de son, où le bassiste improvise
durant des heures. Un très grand bassiste, peut-être le plus
grand de l’histoire du jazz, qui a connu une fin brutale à
l’âge de trente-cinq ans.
En à peine une année, Serge aura eu l’occasion de rencontrer les quatre musiciens légendaires qui ont accompagné l’écriture et l’élaboration de l’heptade , ce qu’il considère comme étant un beau cadeau de la vie.
Au retour de cette tournée européenne, Serge Locat songe à quitter le groupe. Il en avait déjà informé les membres
avant leur départ. Il ne s’y sent plus aussi libre ; à son avis,
il y a trop de monde et les décisions se prennent au-dessus
de leurs têtes. Il a l’impression que la machine est devenue
trop grosse et que les membres en ont perdu le contrôle.
Épuisé de devoir défendre ses idées, convaincu que, de
toute façon, les décisions sont déjà prises par les agents
et que les meetings du groupe sont devenus une simple
formalité pour entériner les décisions prises en dehors
de leur contrôle, il annonce à ses collègues que la tournée
avec Supertramp était sa dernière série de spectacles avec
Harmonium.
Fiori, de son côté, ne souhaite pas que Locat parte. Il lui
offre d’occuper une plus grande place dans la création et
la composition des œuvres, épuisé qu’il est lui-même de
s’occuper seul de ces responsabilités
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