Serge Fiori : s'enlever du chemin

qui l’étouffent. Cette
offre touche Locat au cœur, mais il maintient sa décision
de quitter Harmonium, car il pressent la dépression qui
guette son ami. Alors qu’il éprouvait un réel plaisir à se
produire, Serge se traîne maintenant les pieds quand vient
le temps de monter sur scène. Il est presque absent par
moments.
    Des quelques années qu’il a partagé avec Fiori, Serge
Locat retient ceci   : «   Serge est un musicien de grand talent.
Un grand mélodiste, unique en son genre. Au Québec, ni
même ailleurs, je ne connais personne d’aussi intéressant
que lui sur cet aspect. Ses textes sont aussi très forts en
images. Ce qui fut plus difficile pour moi, c’est l’ambiguïté
dans laquelle il nous laissait parfois. Peut-être parce qu’il
est très sensible et qu’il ne veut pas toujours s’ouvrir, mais
il lui arrivait de manquer de transparence lorsqu’il était
question de ses intentions réelles. Il proposait des projets,
m’incluait dedans, puis le projet n’avait pas lieu, ou il devenait complètement différent lorsque venait le temps de le
réaliser. Ultimement, Serge, on le sait tous, est le représentant du groupe. C’est lui qui fait le lien avec le public, les
médias. C’est aussi lui qui a composé la majorité des textes
et des musiques. Il porte une grande responsabilité sur ses
épaules. C’est par lui que tout passe. C’est le capitaine. Il
m’arrivait d’avoir des opinions différentes des siennes à
propos de la direction que prenait le groupe. J’en discutais parfois avec les autres membres, qui partageaient mon
opinion. Mais lorsqu’on arrivait en réunion, plus personne
ne m’appuyait. Je me retrouvais donc seul à débattre mes
idées. Je sentais que personne ne voulait contredire la position de Paul Dupont-Hébert, par peur de se faire dire   : “Si
tu n’es pas content, on peut te remplacer.”   »
René Lévesque et le Parti québécois
    Si c’est un rêve, réveille-moé donc
    Ça va être notre tour, ça sera pas long
    Reste par icitte, parce que ça s’en vient
    Depuis l’automne
     
     
    À l’automne 1978, le premier ministre Lévesque planifie
un voyage à Los Angeles afin d’aller y rencontrer des gens
influents sur le plan économique, comme il l’avait fait plus
tôt à New York. Il projette de présenter le plan économique du PQ et de rassurer les Américains sur la viabilité du
projet d’indépendance. Il prend contact avec Serge Fiori et
propose à Harmonium de l’accompagner, afin de montrer
à nos voisins du Sud la vigueur et la créativité qui animent
la culture québécoise.
    Il convient ici d’ouvrir une parenthèse pour bien expliquer le rapport étroit établi entre le Parti québécois, René
Lévesque et Serge Fiori.
    Dès 1973, le PQ a développé, pour ses grands rassemblements et ses rallyes politiques, un concept qui marie
envolées politiques et manifestations culturelles. Soucieux
d’en donner davantage aux partisans venus entendre les
discours politiques du chef et de ses candidats, le parti a
eu l’idée de jumeler à ces occasions de courtes manifestations culturelles   : musique, poésie, chanson. La garde rapprochée du PQ comporte de nombreux artistes, et ces acteurs culturels constituent les assises, avec l’économie, du
projet politique   ; la culture qui caractérise ces événements
est précisément celle qui distingue le Québec du reste du
monde, et que le PQ entend promouvoir et protéger.
    Un jour, Serge est approché par une amie comédienne
qui participe régulièrement à ces rallyes politiques. Elle lui
fait une offre   : «   Écoute, René aimerait en donner encore
davantage après ses discours. Il connaît Harmonium et apprécie votre travail, qu’il considère comme étant à l’image
du Québec d’aujourd’hui. Ça te dirait de te joindre à lui,
lors de ses tournées politiques   ?   » Sans hésiter une seconde, Serge accepte cette proposition. René Lévesque est son
idole, un vrai libérateur, qui incarne à lui seul les espoirs de
tout un peuple, un peuple que Serge Fiori aime avec passion.
    Fiori et les membres d’Harmonium se penchent sur l’itinéraire prévu de la caravane du PQ. Ça fonctionne   ! Le groupe peut se joindre à eux. Quelques jours plus tard, Fiori se
retrouve enfin face à face avec son idole, que son amie lui
présente. Il est là, devant le grand homme, bafouille, cherche ses mots. Déclarer que ce fut une