Serge Fiori : s'enlever du chemin
qui
est en cours : elle nécessite une logistique imposante. Fiori
explique que c’est tout à fait impossible. Le regard que lui
lance alors Lévesque est chargé de reproches et d’incompréhension, et Fiori accuse le coup durement. Quelque
chose se rompt en lui et il présume que le regard assassin
de René Lévesque vient sûrement de mettre un terme à
leur association.
Il rentre à l’hôtel où, recroquevillé, il tente de survivre à
cette cuisante déception. Il est déçu, inquiet pour la réputation du groupe, et embarrassé pour Lévesque. Il en veut
au band qui n’embrasse pas de causes, sinon celles, factices, des gros contrats mirobolants, de la vie débridée de star, du trip US. Tout cela le rend malade et il s’isole davantage. De retour au Québec, il ne fréquentera plus la bande
des indépendantistes, Pauline, Gérald… Son association
avec le PQ est terminée, et c’est de lui-même qu’il s’est retiré. On le conviera encore ici et là à des parties de poker,
mais il refusera toutes les invitations.
Il ne reverra plus jamais René Lévesque.
Faisons un retour sur le volet artistique de ce voyage californien. Un premier spectacle est prévu le vendredi vingt-neuf septembre au campus de l’Université de Californie,
à Berkeley. La semaine suivante, ce seront deux autres
prestations au Starwood de Los Angeles. Il est prévu que
les musiciens se rendront à San Francisco quelques jours à
l’avance et se feront livrer leur équipement par voie terrestre. La compagnie responsable de la livraison est située en
Ontario. Les livreurs prennent bien possession du matériel,
comme convenu, mais sur la route de San Francisco, on
perd toute trace du camion. Le temps passe, l’impatience
et l’inquiétude des musiciens et des techniciens augmentent. Le mardi, en matinée, le matériel n’est toujours pas
livré. Les musiciens commencent à paniquer : impossible
de savoir où est le camion ni quand il arrivera à destination. L’après-midi, l’angoisse est à son comble : toujours
pas de camion. Le soir, Serge doit se résigner, comme nous
l’avons vu, à annoncer à René Lévesque qu’il n’y aura pas
de spectacle.
Sur la marquise du théâtre, s’étalant en diagonale sur le
nom d’Harmonium, un énorme « cancelled » est apposé.
Le spectacle affichait complet et cette soirée s’annonçait
parfaite. Au cours des jours précédents, Fiori et les membres du groupe s’étaient pliés à de nombreuses séances de
signatures chez les disquaires, et les albums s’étaient tous
vendus. Libert remarque pour la première fois que Serge
n’a pas l’air d’aller du tout et il raconte ce moment particulier où il prend conscience des problèmes psychiques de
Fiori. « On était à Berkeley. Je me souviens d’avoir pris une
photo de lui alors qu’il montait la rue. Il avait cet air de panique que j’ai tout de suite observé. Je ne l’ai jamais oublié.
C’est vrai qu’il y avait la pression du show, l’équipement
n’était pas arrivé, c’était la panique pour tout le monde.
On aurait pu louer des instruments et faire un spectacle
acoustique, mais Serge ne voulait pas. »
Le camion arrive enfin le jeudi matin avec trois jours de
retard. L’excuse donnée par la compagnie ? Le chauffeur
s’est perdu en route ! Lorsque celui-ci se présente, Serge a
bien le goût de le secouer, mais en son for intérieur, il sait
très bien que ça ne servira à rien.
À San Francisco, le groupe est tout de même invité à la
station de radio KALX afin d’y présenter son matériel. Ils
passent ensuite l’après-midi chez le seul disquaire de l’endroit qui ait encore des albums à vendre : ils y signent des
autographes et écoulent toute la marchandise restante. Le
moral des membres est au plus bas. Jusqu’ici, leur voyage
n’est que déception. Ils hésitent à se produire le mardi suivant à Los Angeles, comme prévu. Ils tergiversent. La scène
du Starwood est petite, la capacité électrique est limitée,
ils ne pourront se servir que de la moitié de leur équipement. De plus, la clientèle de ce théâtre est reconnue pour
apprécier la musique punk.
Paul Dupont-Hébert doit être convaincant pour qu’ils
ne se laissent pas abattre : il réussit de justesse à les persuader de respecter leur engagement. Le trois octobre, jour
de la représentation, les billets s’envolent tous, jusqu’au
dernier. Les
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