Serge Fiori : s'enlever du chemin

les autres sont furieux. Bien sûr,
ils reconnaissent l’apport immense de ces artistes plus
grands que nature, mais ils auraient souhaité que la scène
accueille de jeunes groupes, de jeunes auteurs-compositeurs qui agissent comme des éveilleurs de conscience depuis plusieurs années. Qu’à cela ne tienne… Fiori organise,
avec ses amis, un show parallèle, la veille de la Saint-Jean,
avec le groupe Aut’chose, Les Séguin, Valiquette et d’autres
artistes. Ils entendent bien récidiver en 1976, une année
électorale, et prendre leur place au sommet du mont Royal.
Ce qui se produira, comme on l’a lu plus haut.
    Serge continue de côtoyer l’équipe du PQ   ; il fait mainte
nant partie du cercle restreint de ceux qui ont l’honneur de
jouer au poker avec René Lévesque, presque chaque nuit,
puisque le futur premier ministre dort à peine deux heures par nuit. Pauline Julien, Claude Charron et Gérald Godin se montrent les partenaires les plus assidus. Lévesque
était taillé pour ce genre de jeu   : homme très solitaire, il a
du mal à accorder sa confiance   ; il est le gardien d’un idéal
pur qui ne tolère aucun compromis, ce qui lui confère un
visage sérieux, impassible, un atout indéniable pour jouer
au poker. Mais ce manque de confiance et cet isolement,
Lévesque les paiera très cher. Cette attitude lui nuira sur
les plans politique et moral.
    Le soir de l’élection de novembre 1976, Harmonium
est en spectacle en Nouvelle-Écosse. Avant le début de la
prestation, Serge demande qu’on branche des moniteurs
au-dessus de la scène, afin que, tout en jouant, il puisse
suivre les résultats de la soirée électorale. Les membres du
groupe sont perplexes   : ils ne sont pas aussi nationalistes
que Serge, et pour tout dire, ils n’accordent pas autant d’intérêt que lui à cette soirée électorale. Tout en jouant, Serge
suit les différents résultats électoraux, et chaque fois que
le PQ remporte un siège, il s’exclame et crie sa joie. Lorsque le PQ est enfin déclaré grand gagnant de cette soirée,
Serge saute de joie et met abruptement fin au spectacle.
Fiori désire rentrer au Québec par le premier avion   : il sent
qu’il n’a rien à faire ici, que sa place est chez lui, auprès de
René et du Parti québécois. Cette décision unilatérale crée
une certaine commotion au sein du groupe et instaure des
tensions qui vont aller en s’amplifiant.

    Automne 1978. Devant l’évidence que tout le monde
n’est plus, désormais, sur la même longueur d’onde, Serge
accepte, au nom du groupe, le voyage en Californie. Les
autres se plient à cette décision et consentent à y aller, davantage par goût de visiter Los Angeles, de jouer dans les
clubs célèbres, de voir des spectacles et de vivre la vie de rock star dans les hôtels californiens. Le devoir patriotique
passe en deuxième.
    Sur place, Fiori suit le premier ministre dans tous ses dé
placements   : cocktails, réunions, allocutions. Il est présent
lors de cette conférence prononcée devant plus de quatre
cents hommes d’affaires, politiciens, artistes et producteurs de tout acabit. Serge est le seul à le faire, les autres
membres d’Harmonium préférant, une fois leurs obligations remplies, jouir des plaisirs californiens. Pour leur
part, ils n’ont rien à faire du nationalisme, de l’indépendance et de toute cette politique   ; Serge se retrouve donc
isolé dans cette affaire. Fiori rencontre des artistes et des
acteurs, il signe des albums, évoque le Québec et parle du
rêve d’indépendance à tout ce beau monde.
    Puis, le désastre survient   : le camion transportant le matériel d’Harmonium n’arrive pas. Ils doivent jouer le soir
même, mais ils n’ont ni leurs instruments ni l’équipement
nécessaire au bon déroulement du spectacle. Mortifié,
Serge s’avance vers René Lévesque sous les objectifs des
caméras et des appareils-photo et, la mort dans l’âme, lui
apprend la mauvaise nouvelle. Lévesque ne comprend
pas   : «   Vous pouvez pas en louer, du matériel   ?   » demande-t-il, sceptique.
    L’ heptade exige une scénographie formidable, des instruments particuliers   ; une chanteuse comme Pauline Julien aurait certes pu, à la dernière minute, trouver un piano, ou un autre artiste aurait pu trouver une guitare, mais
pour Harmonium, le problème ne se pose pas de la même
façon. À ce moment-là, c’est la tournée de l’heptade