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Serge Fiori : s'enlever du chemin

Serge Fiori : s'enlever du chemin

Titel: Serge Fiori : s'enlever du chemin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louise Thériault
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grand-mère
n’oublie pas son rôle – servent de prétexte à Albertine pour
expliquer à Serge les clivages entre anglophones et francophones de Montréal (l’émeute du Forum impliquant
Maurice Richard date d’à peine quelques années) et la
nature des tensions linguistiques propres au Québec, tensions qui prendront une ampleur considérable au cours
des années subséquentes. On devine qu’une grande part
de la fibre nationaliste de Serge Fiori prend sa source dans
ces fabuleuses soirées et les explications sans détour de sa
grand-mère.
    La profonde complicité instaurée par l’adéquation par
faite de ces deux êtres constitue leur grand secret   : personne
ne sait rien de leurs soirées, pas même Claire et Georges.
Quant à elle, la famille proche pense que Claire prend bien
soin de sa maisonnée et que tout va pour le mieux au sein
de cette famille pourtant atypique.
    Albertine Dauphinais a traversé l’existence de Serge Fiori non pas pour la sauver, mais bien pour lui en procurer
une.

    Quand Albertine quitte le bungalow des Fiori, ceux-ci
louent un appartement. Pour Serge, âgé alors de treize ans,
c’est la catastrophe, la fin du monde. Où est Albertine   ? Il
se sent désemparé, car il sait que tout va changer et qu’il va
sombrer de nouveau dans la solitude. Heureusement pour
lui, ce qu’il a acquis durant le séjour de sa grand-mère, ce
qui lui a été inculqué et la culture fondamentale qu’il possède désormais font de lui un adolescent mieux nanti pour
faire face aux réalités de la vie.
    Lorsque, quelques années plus tard, Albertine sera affectée par la paralysie, Serge sera incapable d’aller la voir à
l’hôpital. Si sa grand-mère l’a doté d’outils culturels et intellectuels fondamentaux, elle ne l’a pas pour autant libéré
de ce qui le hante sur le plan émotif   : l’angoisse et l’anxiété.
Incapable de rendre visite à cette femme autrefois si forte,
pleine de vitalité, éveillée et intelligente, et maintenant
cantonnée dans la prison de son corps – elle ne peut plus
mouvoir ses membres, seuls ses yeux témoignent toujours
de sa vivacité intellectuelle–il repousse chaque jour le projet d’aller la rencontrer. Il ne parvient pas à accepter cette
injustice faite à sa grand-mère   ; pis encore, cette condition
lui fait remettre en question le sens de la vie, le sens même
de son existence.
    Son père, qui visite fréquemment Albertine, confie à
Serge qu’elle le réclame continuellement et il le prie de
l’accompagner. Peine perdue   : l’idée de pénétrer dans un
hôpital, un lieu qui fait surgir en lui trop de tristesse et d’angoisse, paralyse Serge à son tour. Albertine décède cinq ans
plus tard, sans que son petit-fils soit venu lui rendre visite.
Serge n’est pas allé à l’hôpital et il ne sera pas plus capable de se rendre au salon funéraire. Ce sera, confiera-t-il,
la plus grande erreur de sa vie. Ce ne sera que bien des années plus tard, quand son propre père mourra après avoir
passé ses vingt-six derniers jours d’existence auprès de lui
que, obligé d’aller et à l’hôpital et au salon funéraire, Serge
reconnaîtra enfin la place prépondérante qu’a occupée Albertine dans le cours de son existence, et la grave erreur
qu’il juge désormais avoir commise, c’est-à-dire de ne pas
avoir accompagné sa grand-mère en fin de vie.
    Pour le jeune homme, cette prise de conscience provoquée par le décès de son père va modifier son rapport à
la maladie et à la mort. Parce que Georges avait vécu les
vingt-six derniers jours de son existence chez lui et que
Serge avait dû en prendre soin jour et nuit, celui-ci se sent
en effet contraint de se présenter au salon funéraire pour
affronter la foule. Il faut préciser que Georges était connu
comme Barabbas dans la Passion et, par conséquent, le
salon ne désemplissait pas. Des centaines de personnes,
dont le premier ministre de l’époque, y ont défilé et ont
échangé quelques mots avec Serge Fiori. Cet événement
fait remonter en lui le souvenir de sa grand-mère et l’ultime rendez-vous manqué   : à compter de ce jour, il trace
un virage à cent quatre-vingts degrés.
    «   C’est grâce au décès de mon père, ça. Il faut y aller,
la vie, c’est comme ça. Les gens disent qu’ils sont en vie   ;
moi, je dis qu’on est en mort… Du moment qu’on

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