Shogun
es certain que tout est prêt, Mura ?
— Oui, Omi-san ; oui, je le crois. Nous avons
suivi vos ordres et ceux d’Igurashi-san à la lettre.
— Il vaut mieux que tout se passe bien, sinon le
village aura un autre chef au coucher du soleil », lui dit Igurashi, le
lieutenant de Yabu. L’œil qui lui restait était injecté de sang par manque de
sommeil. Il était arrivé la veille de Yedo avec le premier contingent de
samouraïs et des instructions précises.
Mura ne répondit pas, acquiesça seulement avec déférence et
garda les yeux rivés au sol.
Ils étaient sur le quai, près de la jetée, et attendaient
l’arrivée de la galère. Ils portaient tous leurs plus beaux vêtements.
« Tout ira bien, Igurashi-san », dit Omi. Il avait
peu dormi cette semaine, depuis que les ordres de Yabu lui étaient parvenus. Il
avait immédiatement mobilisé le village et tous les hommes valides sur une
distance de vingt ri pour préparer Anjiro à l’arrivée des samouraïs et
de Yabu. Depuis qu’Igurashi avait murmuré à ses oreilles que le grand daimyô Toranaga accompagnait son oncle et qu’il avait déjoué le piège d’Ishido
avec succès, Omi était très satisfait d’avoir dépensé autant d’argent.
« Vous n’avez pas besoin de vous inquiéter,
Igurashi-san. C’est mon fief. J’en ai la pleine et entière responsabilité.
— Je suis d’accord, oui. C’est votre fief. »
Igurashi congédia Mura avec mépris, d’un geste de la mai n.
Ce matin-là, les dernières compagnies de samouraïs étaient
arrivées à cheval de Mishima, la capitale. Omi n’avait pas peur. Il avait fait
tout son possible et avait tout vérifié personnellement. Si quelque chose
n’allait pas, ce ne serait alors que karma. Les préparatifs avaient
coûté cinq cents koku, somme supérieure à tout son revenu annuel. Il avait été
stupéfié par l’importance des dépenses, mais Midori, sa femme, lui avait dit
qu’ils devaient faire des prodigalités, que le coût était minime par rapport à
l’honneur que sire Yabu leur faisait. « Et avec Sire Toranaga ici, qui
sait les possibilités que vous pourriez avoir ? » avait-elle murmuré.
Il scruta le rivage, la place du village. Tout semblait en ordre. Midori et sa
mère attendaient sous le vélum dressé en l’honneur de Yabu et de
son invité . Omi arrangea un pli de son kimono déjà impeccable, ajusta
ses épées et tourna son regard vers la mer.
Mura était las. J’espère que nous n’avons rien oublié. Il
regarda les flancs de la montagne, la palissade de bambou qui entourait la
petite forteresse si vite construite. Trois cents hommes avaient creusé, porté,
charrié, construit et sué. L’autre maison avait été plus facile à
bâtir . Elle était sur un tertre, juste en dessous de la maison d’Omi. Il
pouvait la voir. Elle était plus petite que celle d’Omi, mais avait un toit de
tuiles, un jardin de fortune et une petite maison de bains. Je pense qu’Omi
s’installera là et laissera la sienne à Yabu, pensa Mura.
Il tourna son regard vers le promontoire d’où devait
apparaître à tout moment la galère. Yabu allait mettre bientôt pied à terre.
Ils seraient alors tous entre les mains du kami.
Dans le carré, Fujiko était agenouillée devant
Toranaga. Ils étaient seuls.
« Je vous en supplie, Sire, enlevez cette épée
suspendue au-dessus de ma tête.
— Ce n’est pas une épée. C’est un ordre.
— J’obéirai, bien sûr. Mais je ne peux pas…
— Vous ne pouvez pas ? » Toranaga s’enflamma
« Comment, osez-vous discuter ? Je vous ordonne
de devenir la concubine du pilote et vous avez l’insolence de discuter ?
— Je vous prie de m’excuser, Sire » .
d it Fujiko rapidement. Les mots se pressaient au bord de ses lèvres.
« Je ne cherchais pas à discuter. Je voulais seulement vous dire que je ne
pouvais pas faire ce que vous me demandiez de la façon dont vous le souhaitiez.
Je vous supplie de me comprendre. Pardonnez-moi, Sire, mais il n’est pas
possible d’être heureux ou même de faire semblant. » Elle inclina la tête
vers la natte. « Je vous demande humblement l’autorisation de me faire
seppuku.
— J’ai déjà dit que je n’approuvais pas les morts
injustifiées, stupides. J’ai un rôle pour vous.
— Je vous en prie, Sire, je voudrais mourir. Je vous en
supplie humblement. Je voudrais rejoindre mon mari et mon fils. »
La voix de Toranaga gronda de colère et étouffa les
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