Shogun
pensa Toranaga, trop d’hommes sur ce
rivage d’Anjiro. Il observa Yabu. « C’est dommage que le Taikô soit mort, neh ?
— Oui.
— Mon beau-frère était un grand chef. Un grand
instructeur aussi. Comme lui, je n’oublie jamais un ami. Ou un ennemi.
— Sire Yaemon sera bientôt en âge de gouverner. Il a le
même esprit que le Taikô, Sire Tora… »
Avant que Yabu n’ait eu le temps de l’arrêter, Toranaga
était déjà reparti. Il inspecta les rangs les uns après les autres, s’arrêtant
de temps à autre dès qu’il reconnaissait un soldat. Ses yeux n’étaient jamais
en repos, car il cherchait constamment des noms et des visages dans sa mémoire.
Il avait cette qualité très rare aux généraux passant une inspection de faire
croire aux hommes, le temps d’un éclair, qu’il leur avait, à eux seuls,
adressés la parole. Toranaga faisait ce que sa naissance lui avait imposé, ce
qu’il avait déjà fait des milliers de fois : maîtriser des hommes par sa
seule volonté.
Yabu, Igurashi et Omi n’en pouvaient plus. Toranaga n’était
absolument pas fatigué. Il se dirigea vers un tertre, s’y tint bien droit et
déclara de sa voix basse et profonde : « Samouraïs d’Izu, vassaux de
mon ami et allié Kasigi Yabu-sama ! Je suis très honoré d’être ici, de
voir une partie de la puissance d’Izu et des forces de mon grand allié.
Écoutez-moi, samouraïs. De sombres nuages se rassemblent au-dessus de l’empire
et mettent en danger la paix instaurée par le Taikô. Nous devons préserver les
cadeaux qu’il nous a légués de la trahison qui se trame en haut lieu ! Que
chacun de vous soit prêt ! Que chaque épée soit aiguisée ! Nous
défendrons ensemble ses dernières volontés ! Et nous vaincrons ! Que
les dieux du Japon, petits et grands, nous protègent ! Puissent-ils
éliminer tous ceux qui s’opposent aux ordres du Taikô ! » Il leva les
bras et poussa leur cri de guerre : « Kasigi ! » et,
chose incroyable, il s’inclina devant les légions. Tous le fixèrent et lui
rendirent son salut. Yabu s’inclina à son tour, dépassé par la force de
l’événement.
Avant qu’il ait eu le temps de se redresser, Toranaga
descendait déjà la colline à vive allure. « Suis-le, Omi-san »,
ordonna-t-il. Quand Omi se fut éloigné, Yabu dit à Igurashi :
« Quelles sont les nouvelles de Yedo ?
— La dame Yuriko, votre femme, m’a prié de vous dire
que la mobilisation avait été décrétée dans tout le Kwanto. Rien n’apparaît en
surface, mais tout bout en profondeur. Elle pense que Toranaga prépare la
guerre. Une attaque soudaine contre Osaka. Peut-être !
— Et Ishido ?
— Rien jusqu’à notre départ. C’était il y a cinq jours. Rien non plus sur l’évasion de Toranaga. J’en ai seulement
entendu parler hier, quand votre épouse a envoyé un pigeon de Yedo.
— Zukimoto a donc déjà installé le service du courrier ?
— Oui, Sire.
— Très bien.
— Son message disait : « Toranaga est parvenu
à s’enfuir avec votre maître à bord d’une galère. Arrangez toutes choses pour
les recevoir à Anjiro. » J’ai pensé qu’il valait mieux n’en parler à
personne sauf à Omi-san, mais nous sommes tout à fait prêts.
— Comment ?
— J’ai mis dans tout Izu mes troupes en alerte, au cas
où Sire… Dans trois jours, toutes les routes et les cols seront fermés, si tel
est votre désir. Une flotte est mouillée au nord – nos gens déguisés en pirates
– et peut couler tout un bateau de jour ou de nuit, si tel est votre désir. Il
y a assez de place ici pour vous et pour un invité, aussi important soit-il, si
tel est votre désir.
— Très bien. Rien d’autre ? »
Igurashi hésitait à divulguer des informations dont il
mesurait mal les conséquences. « Nous sommes prêts à tout. Mais un message
cacheté est arrivé ce matin d’Osaka : Toranaga a démissionné du Conseil
des régents.
— Impossible ! Pourquoi aurait-il fait ça ?
— Je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi. Mais ce
doit être vrai, Sire. Nous n’avons jamais reçu de fausses informations de cette
source.
— De dame Sazuko ? » demanda Yabu prudemment,
nommant la plus jeune concubine de Toranaga dont la servante était une espionne
à sa solde.
Igurashi acquiesça : « Oui, mais je n’y comprends
rien du tout. Les régents vont le récuser, n’est-ce pas ? Ils vont lui
ordonner de se tuer. C’est
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