Shogun
bizarrement satisfait de la compagnie de Mura.
« À midi, as-tu dit ? » demanda Omi. Il n’aimait pas ce calme.
— Oui. Tout se déroule pour le mieux.
— Et pour ce qui est du camouflage ? »
Mura montra du doigt les groupes de vieilles femmes et d’enfants qui tissaient de grossières nattes, près d’un
hangar à filets.
« Nous pouvons démonter les canons de leurs affûts et
les envelopper. Il va nous falloir au moins dix hommes par canon. Igurashi-san
a envoyé chercher d’autres porteurs au village voisin.
— Bien.
— Je pense qu’il faudrait que le secret soit bien
gardé, Sire.
— Igurashi-san leur en fera bien comprendre la
nécessité, neh ?
— Omi-sama, nous allons devoir nous servir de
tous nos sacs de riz, de toute notre ficelle, de tous nos filets, de toute
notre paille.
— Et alors ?
— Comment irons-nous à la pêche ? Comment
ferons-nous les récoltes ?
— Vous trouverez bien une solution . La voix d’Omi se fit plus tranchante. « Votre impôt est augmenté de moitié,
cette saison. Yabu-san l’a ordonné cette nuit.
— Mais nous avons déjà payé l’impôt de cette année et
celui de l’année prochaine.
— C’est le privilège du paysan, Mura. Pêcher, faire les
récoltes, labourer et payer des impôts. N’est-ce pas ? »
Mura répondit calmement : « Oui, Omi-sama.
— Un chef qui ne contrôle pas son village est un objet
inutile, neh ?
— Oui, Omi-sama.
— Ce paysan était fou et, de plus, insolent. Y en
a-t-il d’autres de son espèce ?
— Non. Aucun.
— Je l’espère. Les mauvaises manières sont
impardonnables.
Sa famille est condamnée à un koku d’amende – en poisson,
grains ce qu’ils veulent. (Un koku représentait la quantité de riz
nécessaire pour nourrir une famille pendant une année. Trois cent cinquante
livres environ.) Il faut qu’ils aient payé d’ici trois lunes.
— Oui, Omi-sama. » Mura et
Omi savaient bien que cette somme excédait l es moyens
financiers de la famille. « Où irait donc ce pays des dieux si nous
oubliions les bonnes manières ? s’exclama Omi. Oui, Omi-sama. » Mura
se demanda où il allait bien pouvoir trouver ce koku, car le village devrait
payer l’amende si la famille ne le pouvait pas. Où obtenir d’autres sacs de
riz, d’autres ficelles et d’autres filets ? Certains pourraient être
récupérés après le voyage.
Il faudrait emprunter de l’argent. Le chef du village voisin
lui devait une faveur. La fille aînée de Tamazaki n’est-elle pas une vraie
petite beauté, à six ans ? N’est-ce pas là l’âge idéal pour vendre une
fillette ? La cousine au second degré de la sœur de ma mère n’est-elle pas
le meilleur courtier d’enfants de tout Izu ? Cette vieille sorcière
assoiffée d’argent, à moitié chauve…
Mura soupira en réalisant qu’il avait devant lui toute une
série de marchandages acharnés. Peu importe, pensa-t-il. Peut-être que la
fillette nous rapportera même deux koku. Elle vaut certainement plus que ça.
« Je m’excuse pour le manque de conduite de Tamazaki et
j’implore votre pardon.
— C’est son manque de conduite à lui. Pas le
tien », répondit Omi, tout aussi poliment.
Ils savaient, tous deux, que la responsabilité en incombait
à Mura. Ils savaient aussi qu’il valait mieux que d’autres Tamazaki
ne se représentent pas, à l’avenir. Ils étaient cependant, tous deux,
satisfaits. Des excuses avaient été faites ; elles avaient été acceptées
et, en même temps, refusées. L’honneur des deux hommes était sauf.
Ils tournèrent le coin du quai et s’arrêtèrent. Omi hésita,
puis fit signe à Mura de s’éloigner. Le chef du village s’inclina et s’en alla,
reconnaissant.
« Est-il mort, Zukimoto ?
— Non, Omi-san. Il s’est simplement évanoui. Une fois
de plus. »
Omi s’approcha du grand chaudron de fer que le village utilisait
en hiver pour extraire le lard des baleines, parfois
prises en haute mer. Le barbare était immergé jusqu’aux épaules, dans l’eau
bouillante . Son visage était pourpre, ses lèvres
retroussées sur ses dents gâtées.
Au coucher du soleil, Omi avait regardé le vaniteux Zukimoto
superviser les préparatifs. Le barbare avait été bridé comme un poulet, les
bras ramenés autour des genoux. Les mains autour des pieds. Il avait été plongé
dans l’eau froide. Pendant un moment, ce petit barbare aux cheveux rouges, par
lequel
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