Shogun
luttait
contre le vent.
Quelques heures plus tard, Omi monta la pente. Zukimoto et
quatre gardes l’escortaient. Il se tenait à l’écart. Quand il s’inclina
respectueusement devant le bûcher, devant le corps à moitié disloqué recouvert
d’un linceul, tous s’inclinèrent avec lui pour honorer le barbare, mort pour
que ses camarades puissent vivre.
Au signal d’Omi, Zukimoto s’avança et mit le feu. Il avait
demandé à Omi cette faveur et elle lui avait été accordée. Il s’inclina une
dernière fois. Le feu prit, ils s’en allèrent.
Blackthorne plongea son quart dans les profondeurs du
baril et mesura consciencieusement la demi-ration d’eau qu’il tendit à Sonk. Ce
dernier essaya de boire lentement pour faire durer le plaisir, mais n’y réussit
pas. Il avala d’un trait le breuvage tiède, regrettant aussitôt d’avoir agi
ainsi. Le sol n’était que fange et boue. La puanteur était insoutenable et les
mouches intolérables. Un vague rai de lumière filtrait à travers les lattes de
la trappe et atteignait les profondeurs de la cave.
C’était au tour de Vinck de boire sa ration. Il prit le
quart et le contempla. Spillbergen était assis de l’autre côté du baril.
« Merci, marmonna-t-il avec lassitude.
— Dépêche-toi », dit Jan Roper. L’entaille qu’il
avait à la joue commençait à suppurer. Il était le dernier à boire et sa gorge
le torturait d’autant plus qu’il était très près de l’eau.
« Dépêche-toi, Vinck, pour l’amour de Dieu !
— Excuse-moi. Voilà, tiens, marmonna Vinck en lui
tendant le quart ; il avait oublié les mouches qui envahissaient son
visage.
— Bois, espèce de conard ! C’est ta dernière
goutte jusqu’au coucher du soleil. Bois-la ! » Jan Roper lui fourra
le quart entre les mains. Vinck ne le regarda pas, obéit d’un air misérable et
regagna ensuite les méandres secrets de son enfer personnel.
Jan Roper prit sa ration des mains de Blackthorne, ferma les
yeux et dit silencieusement l’acte de grâce. Il vida son gobelet en deux
gorgées. Maintenant qu’ils avaient tous bu, Blackthorne plongea le quart dans
le baril et se mit à siroter avec satisfaction. Sa bouche et sa langue étaient
râpeuses, brûlantes et couvertes de poussière. Les mouches grouillaient sur
lui. Il était en sueur, sale. Son dos et sa poitrine
étaient sérieusement meurtris. Il regarda le samouraï abandonné dans le trou.
L’homme était recroquevillé contre un mur, entre Sonk et Croocq ; il se
faisait le plus petit possible et n’avait pas bougé depuis des heures. Il
fixait le vide d’un air morne. Il était nu, hormis le pagne qui lui ceignait
les reins. Son corps était contusionné et une large éraflure lui zébrait le
cou.
Quand Blackthorne était revenu à lui, le trou était dans
l’obscurité la plus complète. Les hurlements remplissaient la cave. Il pensa
qu’il était mort et se trouvait dans les abysses étouffants de l’enfer. Il se
sentait lui-même enveloppé et aspiré par la boue, incroyablement gluante. Il
avait crié, tenté de fuir , incapable de respirer. Au bout
d’un temps, qui lui avait semblé une éternité, il avait entendu :
« Tout va bien, pilote. Vous n’êtes pas mort ;
tout va bien. Réveillez-vous, réveillez-vous pour l’amour de notre Seigneur
Jésus-Christ ; ce n’est pas l’enfer, mais ça pourrait tout aussi bien
l’être. Ô Seigneur Jésus, aidez-nous. »
Quand il avait repris connaissance, ils lui avaient tout
raconté sur Pieterzoon et les barils d’eau de mer.
« Qu’est-ce qu’ils sont en train de faire au pauvre
Pieterzoon ? Qu’est-ce qu’ils lui font ? Ô Seigneur, aidez-nous. Je
ne peux pas supporter ces hurlements !
« Ô Seigneur, laissez ce pauvre homme mourir.
Laissez-le mourir. »
Le trou et les hurlements de Pieterzoon les avaient tous
contraints à regarder en eux-mêmes. Et personne n’avait aimé ce qu’il y avait
entrevu.
Les cris avaient cessé avec le crépuscule. Quand l’aube
avait pointé, ils avaient vu le samouraï oublié.
« Qu’est-ce qu’on va faire de lui ? avait demandé
Van Nekk.
— Je ne sais pas. Il semble aussi effrayé que
nous », avait répondu Blackthorne. Son cœur battait la chamade.
« Ferait mieux de pas bouger, par le Seigneur Dieu.
— Ô Seigneur Jésus, faites-moi sortir d’ici… »
Croocq se mit à crier de plus en plus fort : « Au
secourrrrs ! »
Van Nekk qui était près de lui le
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