Shogun
cadence.
« Attention devant ! » Blackthorne et
Rodrigues crièrent en ne faisant qu’une voix. La galère tanguait
dangereusement. Vingt avirons ramèrent dans le vide et le chaos s’installa à
bord. La première déferlante venait d’atteindre son but. Le pont bâbord fut
inondé. Ils s’enfonçaient.
« Va à l’avant ! ordonna Rodrigues. Aide-les à
border la moitié des avirons, de chaque côté. Sainte Mère ! Dépêche-toi,
dépêche-toi ! »
Blackthorne savait que, sans sa sauvegarde, il pouvait être
facilement envoyé par-dessus lisse. Mais il fallait que les avirons soient
bordés, sinon ils étaient perdus.
Il se détacha et se fraya un chemin le long du pont gras et
glissant de la petite coursive qui menait au pont principal. La galère vira
brusquement et il fut projeté vers la proue. Le plat-bord était immergé. Un
homme passa par-dessus la lisse. Blackthorne, lui aussi, se sentit partir. Sa
main agrippa le plat-bord, muscles tendus. Sa prise tint bon. Son autre main
saisit alors le bastingage et, à demi étouffé, il se remit d’aplomb. Il se
secoua, remercia Dieu et pensa : ta septième vie vient de s’ en
aller. Alban Caradoc lui avait toujours dit qu’un bon pilote avait au moins dix
vies là où un chat n’en avait que neuf.
Un homme gisait à ses pieds. Il le tira et le tint fermement
jusqu’à ce qu’il soit en sécurité, puis l’aida à regagner sa place. Il se
tourna vers le gaillard d’arrière pour maudire Rodrigues d’avoir laissé le
gouvernail lui échapper. Rodrigues agita la main, montra quelque chose du doigt
et cria. Son cri fut étouffé par une lame déferlante. Blackthorne vit qu’ils
avaient changé de direction. Ils étaient presque dans le vent. Si le bateau a
viré, ce doit être un ordre de Rodrigues. Sage. On va pouvoir prendre le temps
de souffler et de se réorganiser, mais ce salaud aurait quand même pu me
prévenir. Je n’aime pas perdre une vie, bêtement.
Il fit, lui aussi, un geste de la main et se mit au travail.
Il fallait remplacer les nageurs qui avaient cessé de ramer. Il fit doubler les
hommes sur les avirons en action et revint vers l’arrière. Les marins
demeuraient stoïques. Certains étaient très malades, mais attendaient néanmoins
les ordres.
La baie était très proche, mais elle paraissait à des
millions de lieues. Le ciel était sombre, au nord-est. La pluie leur cinglait
le visage et les bourrasques se faisaient plus violentes. Blackthorne n’aurait
pas été gêné à bord de l’ Érasme. Ilsauraient pu arriver à bon
port ou rebrousser chemin, beaucoup plus aisément. Son bateau était construit
et gréé pour affronter le mauvais temps. Cette galère ne l’était pas.
« Qu’est-ce que t’en penses, Ingeles ?
— Tu fais de toute façon ce que tu veux, quoi que je
dise, cria-t-il dans le vent. Mais si elle continue à prendre autant d’eau, on
va finir par couler comme une pierre. La prochaine fois que je reviens à
l’avant, dis-moi que tu la mets dans le vent. Mieux : mets-la au vent
pendant que j’ai ma sauvegarde ; on pourra ainsi toucher terre tous les
deux.
— C’était la main de Dieu, Ingeles. C’est une vague qui
lui a fait tourner le croupion.
— J’ai failli passer par-dessus bord.
— J’ai vu. »
Blackthorne évaluait la direction. « Si nous gardons ce
cap , nous n’atteindrons jamais la baie. Nous serons au
moins à un mille ou deux du promontoire.
— Je vais rester dans le vent. On fera route vers le
rivage quand il le faudra. Tu sais nager ?
— Oui.
— C’est bien. J’ai jamais appris, trop dangereux. Va ut mieux se noyer vite que lentement. » Rodrigues frissonna
involontairement. « Sainte Mère de Dieu, protégez-moi d’u ne tombe
marine ! Ce putain de bateau et sa putain de carcasse toucheront terre,
cette nuit. Il le faut. Mon nez me dit que si nous dévions
et venons vent arrière, nous allons couler. Nous sommes trop chargés.
— Allège le bateau. Balance la cargaison par-dessus
bord.
— Le roi Taudis sera jamais d’accord. Il doit arriver
avec, sinon il vaut mieux qu’il arrive pas du tout.
— Demande-le- lui.
— Sainte Mère, mais t’es
sourd ? Je t’ai déjà dit ! Tu sais bien qu’il sera pas
d’accord ! » Rodrigues s’approcha du maître de nage et vérifia qu’il
avait bien compris. Ils allaient rester dans le vent, sans défaillir.
« Surveille-le, Ingeles ! C’est toi qui
commandes. » Il enleva
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