Shogun
être
bougrement mauvais. Ça dépend de toi et tu poses trop de questions. »
Rodrigues descendit. Il ferma à clef la porte de sa cabine
et vérifia soigneusement la serrure de son coffre. Le cheveu, qu’il avait
délicatement placé, était toujours là. Un cheveu identique, invisible pour tous
sauf pour lui, était toujours intact, sur la couverture de son carnet. On n’est
jamais assez prudent en ce monde, pensa-t-il. Est-ce mal qu’il sache que t’es
pilote du Nao del Trato, le grand Vaisseau noir qui vient cette année de
Macao ? Peut-être. Parce qu’il te faudrait alors lui expliquer que c’est
un véritable Léviathan, un des plus gros et des plus riches bateaux du monde,
qu’il fait plus de seize cents tonnes. Tu pourrais être tenté de lui parler
aussi de la cargaison, du commerce, de Macao et de toutes sortes de choses
particulièrement révélatrices et qui sont très secrètes, très, très secrètes.
Mais on est en guerre. On est en guerre avec les Hollandais et les Anglais.
Il ouvrit la serrure bien huilée et sortit son carnet
personnel pour vérifier certains points concernant le plus proche abri. Ses
yeux tombèrent sur le paquet cacheté que le prêtre, le père Sebastio, lui avait
donné juste avant leur départ de Anjiro.
Est-ce qu’il contient les carnets de l’Anglais ? se
demanda -t-il .
Il soupesa le paquet et regarda les cachets du jésuite. Il
était très tenté de les briser et de jeter un coup d’œil. Blackthorne
lui avait dit que la flotte hollandaise était venue par le détroit de
Magellan. Rien d’autre. L’Ingeles pose un tas de questions, mais se laisse
difficilement tirer les vers du nez, pensa Rodrigues. Il est habile, courageux
et dangereux.
Est-ce que ce sont ses carnets, oui ou non ? Si ce sont
ses carnets, quelle utilité peuvent-ils bien avoir pour les pères ?
Rodrigues était dans sa cabine, en compagnie de Blackthorne,
quand la porte s’était ouverte et que le père Sebastio était entré sans
autorisation. Ils étaient en train de manger et de boire.
« Vous partagez votre miche de pain avec un hérétique,
lui avait demandé le prêtre. C’est dangereux de manger avec eux. Ils sont
contagieux. Vous a-t-il dit qu’il était un pirate ?
— Être chevaleresque avec ses ennemis est un devoir
chrétien, mon père. Ils ont été justes avec moi quand j’étais leur prisonnier.
Je fais que leur rendre la charité. » Il s’était agenouillé et avait baisé
la croix du prêtre. Puis il s’était relevé et avait dit en offrant du
vin : « En quoi puis-je vous être utile ?
— Je veux aller à Osaka. Avec le bateau.
— Je vais tout de suite leur poser la question. »
Il était allé voir le capitaine. La requête avait, peu à peu, gravi tous les
échelons hiérarchiques, jusqu’à Hiro-matsu qui avait répondu que Toranaga ne
lui avait donné aucune consigne à ce sujet. Il regrettait, mais ne pouvait
donner suite à la faveur demandée par le prêtre.
Le père Sebastio avait ensuite voulu lui parler dans
l’intimité et il avait envoyé l’Anglais sur le pont. Dans le secret de sa
cabine, le prêtre avait sorti le paquet cacheté.
« J’aimerais que vous apportiez ceci au père général.
— Je sais pas si Son Éminence sera
encore à Osaka quand j’arriverai. »
Rodrigues n’aimait pas être le colporteur des secrets
jésuites. « Il va falloir que j’aille à Nagasaki. Mon commandant y a
peut-être laissé des ordres pour moi.
— Alors, donnez-le au père Alvito. Remettez-le-lui en
main propre.
— D’accord.
— Quand êtes-vous allé pour la dernière fois à
confesse, mon fils ?
— Dimanche dernier, mon père.
— Voulez-vous vous confesser ?
— Oui, merci. » Il était reconnaissant au prêtre
de lui avoir posé la question. On était jamais trop prudent quand sa vie était
à la merci de la mer. Il s’était ensuite senti beaucoup mieux. Comme
d’habitude. Rodrigues remit le paquet à sa place. Il était très tenté de
l’ouvrir. Pourquoi le père Alvito ? Le père Martin Alvito était
négociateur en chef et avait été interprète personnel du Taikô pendant de
nombreuses années. Il avait ainsi vécu au contact des daimyôs les plus
influents. Il faisait le va-et-vient entre Nagasaki et Osaka et était l’une des rares personnes, le seul Européen, à avoir eu constamment
accès auprès du Taikô. C’était un homme extrêmement habile qui parlait parfaitement
le japonais et
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