Shogun
son garde-corps, descendit la passerelle, d’un pied
sûr e t s’approcha du capitaine-san pour lui exposer le
plan qu’il avait en tête, puis Hiro-matsu et Yabu montèrent sur le pont. Le
capitaine-san leur expliqua le plan. Les deux hommes étaient pâles comme un
linge, mais restaient impassibles. Ils ne vomirent pas. Ils regardèrent le
rivage à travers l’écran de pluie, haussèrent les épaules et redescendirent.
Blackthorne contemplait la baie, à bâbord. Il savait que le
plan était dangereux. Ils devaient attendre d’avoir franchi le promontoire,
tout proche, puis sortir du lit du vent, remettre cap nord-ouest et ramer à
mort. La voile ne leur serait d’aucun secours. Le côté sud de la baie était
infesté de rochers et de récifs. S’ils calculaient mal, ils seraient drossés
sur le rivage et s’échoueraient.
« Ingeles, à l’avant ! »
Le Portugais lui fit signe.
Il alla vers l’avant.
« Et si on se servait des voiles ? cria Rodrigues .
— Non. Ça nous gênerait plus
qu’autre chose.
— Tu restes là, alors. Si le capitaine arrête de battre
la cadence ou si nous le perdons, tu prends la relève. D’accord ?
— Je n’ai jamais navigué sur un bateau de ce genre. Je
ne me suis jamais servi de rames. Mais j’essaierai. » Rodrigue tourna vers
la terre. Le promontoire apparaissait et disparaissait, sous la pluie battante.
Il devrait bientôt frapper le grand coup. La mer s’enflait et des moutons
ourlaient la crête des vagues. La course entre les promontoires semblait
insurmontable. Ça va être affreux, pensa-t-il. Puis il cracha et prit une
décision.
« Va à l’arrière, Ingeles. Prends la barre. Quand je
fais signe, tu mets cap ouest-nord-ouest sur cet amer. Tu le vois ?
— Oui.
— N’hésite pas et tiens le cap. Regarde-moi. Ce
signe-là veut dire bâbord, celui-là tribord, et celui-là, droite la barre.
— Très bien.
— Par la Vierge Marie, t’attends mes ordres et t’obéis.
— Tu veux que je prenne la barre, oui ou
non ? »
Rodrigues savait qu’il était pris au piège. « Je dois
te faire confiance, Ingeles, et je déteste ça. » Il vit que Blackthorne
devinait ses arrière-pensées et il changea d’avis. « Eh, toi,
le pirate arrogant ! Que Dieu soit avec toi ! »
Blackthorne se retourna : « Avec toi aussi,
l’Espagnol !
— Merde à tous les Espagnols et vive le Portugal !
— Droite la barre ! »
Ils arrivèrent à bon port, mais sans Rodrigues. Il
était passé par-dessus bord. Sa sauvegarde s’était rompue.
L’énorme vague venue du nord avait sauvé le bateau. Ils
flottaient toujours quoiqu’ils aient embarqué beaucoup d’eau et perdu leur capitaine
japonais. Ils étaient à nouveau poussés v ers le rivage,
infesté de rochers. Blackthorne vit Rodrigues s’en aller. Il se débattait et
haletait dans la mer bouillonnante. La tempête et la houle les avaient emmenés
loin, sur la partie sud de la baie. Ils étaient presque sur les rochers.
Ils savaient tous que le bateau était perdu.
Blackthorne, voyant Rodrigues entraîné le long de la galère,
lui lança une bouée de sauvetage. Le Portugais essaya désespérément de s’y
accrocher, mais la mer l’emporta. Un aviron atterrit près de lui. Il le saisit.
La pluie tombait à seaux. La dernière vision que Blackthorne eut de Rodrigues
fut un bras agrippé à un aviron brisé. Il aurait pu plonger par-dessus bord, le
rattraper et, peut-être, le sauver. Il avait le temps, mais son premier devoir
allait au bateau et son bateau était en danger.
Il tourna donc le dos.
La lame avait emporté quelques rameurs. D’autres essayaient
en vain d’occuper les places vides. Un officier enleva bravement sa sauvegarde,
sauta sur le gaillard d’avant, s’attacha et reprit la cadence.
« Isogiiii ! » cria Blackthorne en se
souvenant du mot. Il pesa de tout son poids sur la barre pour faire venir
l’étrave dans le vent. Il alla ensuite contre le bastingage et battit la
cadence, un-deux-un-deux, essayant d’encourager l’équipage.
« Allez bande de salauds !
Souuuuuuquez ! »
Les rames plongeaient et souquaient, mais le bateau
n’avançait pas. Le vent et la houle gagnaient, tirant la monère en arrière.
« Allez, souquez, bande de salauds ! » cria à
nouveau Blackthorne. Sa main battait la mesure.
Le bateau s’éloigna des rochers. Blackthorne maintint le cap
vers la bande de terre sous le vent. Ils se retrouvèrent
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