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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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(aux prisonniers de droit commun et aux politiques, pas aux juifs, qui d'ailleurs ne souffrent guère de cette restriction) à une entrée au Frauenblock, les intéressés se les sont arrachés en un clin d'œil, ce qui a entraîné une réévaluation immédiate mais de courte durée.
    Les Häftlinge ordinaires qui recherchent le Mahorca pour leur consommation personnelle sont peu nombreux
    ;
    – 99 –

    le plus souvent, le tabac sort du camp et aboutit entre les mains des travailleurs civils de la Buna. Voici un des types de combines les plus répandus : le Haftling qui a économisé d'une manière ou d'une autre une ration de pain l'investit en Mahorca ; il se met clandestinement en contact avec un « amateur » civil, qui achète le Mahorca en payant au comptant, avec une dose de pain supérieure à celle initialement investie. Le Haftling mange sa marge de bénéfice et remet en circulation la ration restante. Ce sont les spéculations de ce genre qui établissent un lien entre l'économie interne du camp et la vie économique du monde extérieur : lorsque la distribution du tabac à la population civile de Cracovie a été interrompue, les répercussions, au-delà de la barrière de fil barbelé qui nous sépare de la communauté humaine, se sont fait sentir immédiatement à l'intérieur du camp par une hausse sensible de la cotation du Mahorca et par suite du bon-prime.
    Le cas qui vient d'être évoqué n'est que le plus simple : en voici un autre déjà plus complexe. Le Haftling achète avec du Mahorca ou du pain, ou bien se fait offrir par un civil une quelconque loque ayant nom de chemise, même sale et déchirée, mais encore pourvue de trois trous par où passer tant bien que mal la tête et les bras. Du moment qu'il ne montre que des signes d'usure et non de dégradations délibérées, un tel objet, au moment du Wäschetauschen, vaut pour une chemise et donne droit à un rechange ; au pis aller celui qui l'endosse recevra une correction en règle pour s'être montré
    négligent
    dans
    l'entretien
    des
    effets
    réglementaires.
    Aussi, à l'intérieur du camp, n'y a-t-il pas grande différence de valeur entre une chemise digne de ce nom et un lambeau de tissu rapiécé ; le Haftling en question
    – 100 –

    n'aura pas de mal à trouver un camarade en possession d'une chemise « commercialisable », mais sera dans l'impossibilité d'en tirer profit parce que l'endroit où il travaille, ou bien la langue, ou encore une incapacité intrinsèque l'empêchent d'entrer en contact avec des travailleurs civils. Ce camarade se contentera d'une petite quantité de pain en échange ; car le prochain Wäschetauschen rétablira une certaine forme d'équilibre en répartissant le linge en bon ou mauvais état de manière purementfortuite. De son côté, le premier Haftling pourra passer la chemise en bon état en contrebande à la Buna, et la vendre au civil de tout à l'heure (ou à un autre) pour quatre, six ou même dix rations de pain. Une marge de bénéfice de cette importance reflète la gravité du risque qu'on prend à sortir du camp avec plus d'une chemise sur le dos, ou à y rentrer sans chemise.
    Les variations sur ce thème sont nombreuses.
    Certains n'hésitent pas à se faire arracher leurs couronnes en or pour les troquer à la Buna contre du pain ou du tabac ; mais dans la plupart des cas, ce trafic se fait par personne interposée. Un « gros numéro », c'est-à-dire un nouveau venu, arrivé depuis peu mais déjà suffisamment abruti par la faim et l'extrême tension que requiert la vie au camp, est repéré par un « petit numéro » en raison d'une coûteuse prothèse dentaire ; le
    « petit » offre au « gros » trois ou quatre rations de pain au comptant pour qu'il accepte de se la faire arracher. Si le gros est d'accord, le petit paie, emporte l'or à la Buna, et s'il est en contact avec un civil de confiance, dont il n'ait à craindre ni délation ni perfidie, il peut compter sur un gain de dix à vingt rations et plus, qui lui sont versées à tempérament, à raison d'une ou deux par jour.
    Il faut remarquer à ce propos que, contrairement à ce qui
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    se passe à la Buna, le chiffre d'affaires maximum réalisable à l'intérieur du camp est de quatre rations de pain, car il serait pratiquement impossible aussi bien d'y conclure des contrats à crédit que d'y préserver de la convoitise d'autrui et de sa propre faim une plus grande quantité de pain.
    Le trafic avec les

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