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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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civils fait partie intégrante de l'Arbeitslager et, comme on vient de le voir, il en conditionne la vie économique. Il constitue par ailleurs un délit explicitement prévu par le règlement du camp et assimilé aux crimes « politiques » ; aussi lui a-t-on réservé des peines particulièrement sévères. S'il ne dispose pas de protections en haut lieu, le Haftling convaincu de « Handel mit Zivilisten » se retrouve à Gleiwitz III, à Janina, ou à Heidebreck dans les mines de charbon ; ce qui veut dire la mort par épuisement au bout de quelques semaines. Quant au travailleur civil, son complice, il peut être déféré à l'autorité allemande compétente
    et
    condamné
    à
    passer
    en
    Vernichtungslager, dans les mêmes conditions que nous, une période qui, si mes informations sont bonnes, peut aller de quinze jours à huit mois. Les ouvriers qui subissent cette espèce de loi du talion sont comme nous dépouillés à l'entrée, mais leurs affaires personnelles sont mises de côté dans un magasin spécial. Ils ne sont pas tatoués et conservent leurs cheveux, ce qui les rend facilement reconnaissables, mais pendant toute la durée de la punition, ils sont soumis au même travail et à la même discipline que nous : sauf bien entendu en ce qui concerne les sélections.
    Ils travaillent dans des Kommandos spéciaux et n'ont aucun contact avec les Häftlinge ordinaires. Pour eux en effet, le Lager représente une punition, et s'ils ne meurent pas de fatigue ou de maladie, il y a de fortes
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    chances qu'ils retournent parmi les hommes; s'ils pouvaient communiquer avec nous, cela constituerait une brèche dans le mur qui fait de nous des morts au monde, et contribuerait un peu à éclairer les hommes libres sur le mystère de notre condition. Pour nous, en revanche, le Lager n'est pas une punition ; pour nous aucun terme n'a été fixé, et le Lager n'est autre que le genre d'existence qui nous a été destiné, sans limites de temps, au sein de l'organisme social allemand.
    Une section de notre camp, justement, est réservée aux travailleurs civils de toutes les nationalités qui doivent y séjourner pour une durée plus ou moins longue afin d'y expier leurs rapports illégitimes avec des Häftlinge. Cette section, séparée du reste du camp par des barbelés, est appelée E-Lager et ceux qu'elle abrite EHäftlinge. « E » est l'initiale de « Erziehung », qui signifie « éducation ».
    Tous les trafics dont il a été question jusqu'ici reposent sur la contrebande de matériel appartenant au Lager. C'est pourquoi les SS les punissent aussi sévèrement : même l'or de nos dents leur appartient, puisque, arraché aux mâchoires des vivants ou des morts, il finit tôt ou tard entre leurs mains. Il est donc tout naturel qu'ils prennent leurs dispositions pour que l'or ne sorte pas du camp.
    Cependant, la direction n'a rien contre le vol en soi.
    Il suffit de voir de quelle indulgence les S S savent faire preuve quand il s'agit de contrebande en sens inverse.
    Là, les choses sont généralement plus simples. Il suffit de voler ou de receler quelques-uns des divers outils, instruments, matériaux, produits etc., que nous avons tous les jours à portée de la main durant notre travail à la Buna ; après quoi il faut les introduire au camp le soir, trouver le client, et les troquer contre du
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    pain ou de la soupe. Ce trafic est particulièrement intense : pour certains articles, qui sont pourtant nécessaires à la vie normale du camp, le vol à la Buna est l'unique voie d'approvisionnement régulière. C'est le cas en particulier des balais, de la peinture, du fil électrique, de la graisse à chaussures.
    Prenons par exemple le trafic de ce dernier produit.
    Comme nous l'avons indiqué plus haut, le règlement du camp exige que les chaussures soient graissées et astiquées chaque matin ; et chaque Blockaltester est responsable devant les SS de l'exécution de cette disposition par tous les hommes de sa baraque. On pourrait donc penser que chaque baraque bénéficie périodiquement d'une certaine quantité de graisse à chaussures, mais il n'en est rien : le mécanisme est tout autre. Il faut dire tout d'abord que chaque baraque reçoit tous les soirs une quantité de soupe passablement supérieure à la somme des rations réglementaires ; le surplus est partagé selon le bon vouloir du Blockaltester, qui commence par prélever des suppléments à titre gracieux pour ses amis et

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