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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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mourra aujourd'hui sous nos yeux : et peut-être les Allemands ne comprendront-ils pas que la mort solitaire, la mort d'homme qui lui est réservée, le vouera à la gloire et non à l'infamie.
    Quand l'Allemand eut fini son discours que personne ne comprit, la voix rauque du début se fit entendre à nouveau « Habt ihr verstanden ? » (Est-ce que vous avez compris ?)
    Qui répondit « Jawohl ». Tout le monde et personne ce fut comme si notre résignation maudite prenait corps indépendamment de nous et se muait en une seule voix au-dessus de nos têtes. Mais tous nous entendîmes le cri de celui qui allait mourir, il pénétra la vieille gangue d'inertie et de soumission et atteignit au vif l'homme en chacun de nous.
    « Kameraden, ich bin der letzte » (Camarades, je suis le dernier)
    Je voudrais pouvoir dire que de notre masse abjecte une voix se leva, un murmure, un signe d'assentiment Mais il ne s'est rien passe Nous sommes restes debout, courbes et gris, tête baissée, et nous ne nous sommes découverts que lorsque l'Allemand nous en a donné l'ordre La trappe s'est ouverte, le corps a eu un frétillement horrible, la fanfare a recommence à jouer, et nous, nous nous sommes remis en rang et nous avons défile devant les derniers spasmes du mourant.
    – 189 –

    Au pied de la potence, les SS nous regardent passer d'un œil indifférent leur œuvre est finie, et bien finie. Les Russes peuvent venir, désormais il n'y a plus d'hommes forts parmi nous, le dernier pend maintenant au-dessus de nos têtes, et quant aux autres, quelques mètres de corde ont suffi. Les Russes peuvent bien venir ils ne trouveront plus que des hommes domptes, éteints, dignes désormais de la mort passive qui les attend Détruire un homme est difficile, presque autant que le créer cela n'a été ni aisé ni rapide, mais vous y êtes arrivés, Allemands. Nous voici dociles devant vous, vous n'avez plus rien à craindre de nous ni les actes de révolte, ni les paroles de défi, ni même un regard qui vous juge.
    Alberto et moi, nous sommes rentrés dans la baraque, et nous n'avons pas pu nous regarder en face.
    Cet homme devait être dur, il devait être d'une autre trempe que nous, si cette condition qui nous a brisés n'a seulement pu le faire plier.
    Car nous aussi nous sommes brisés, vaincus même si nous avons su nous adapter, même si nous avons finalement appris à trouver notre nourriture et à endurer la fatigue et le froid, même si nous en revenons un jour.
    Nous avons hissé la menaschka sur la couchette, nous avons fait le partage, nous avons assouvi la fureur quotidienne de la faim, et maintenant la honte nous accable.
    – 190 –

    HISTOIRE DE DIX JOURS
    Depuis plusieurs mois déjà, on entendait par intermittence le grondement des canons russes, lorsque, le 11 janvier 1945, j'attrapai la scarlatine et fus à nouveau hospitalisé au K.B Infektionsabteilung : une petite chambre en vente très propre, avec dix couchettes sur deux niveaux, une armoire, trois tabourets, et le seau hygiénique pour les besoins corporels. Le tout dans trois mètres sur cinq.
    Comme l'accès aux couchettes supérieures était malaisé car il n'y avait pas d'échelle, chaque fois que l'état d'un malade s'aggravait, on l'installait au niveau inférieur.
    Quand j'arrivai, j'étais le treizième sur les douze malades déjà présents, quatre avaient la scarlatine —deux « politiques » français et deux jeunes juifs hongrois
    —, trois étaient atteints de diphtérie, deux du typhus, un autre était affligé d'un répugnant érésipèle facial. Les deux derniers avaient plusieurs maladies à la fois et étaient extrêmement affaiblis.
    J'avais une forte fièvre. J'eus la chance d'avoir une couchette pour moi tout seul, je m'y étendis avec soulagement, je savais que j'avais droit à quarante jours d'isolement et donc de repos, et je m'estimais en assez bon état physique pour n'avoir pas à craindre les séquelles de la scarlatine d'une part, et les sélections de l'autre.
    Ayant désormais une longue expérience des choses du camp, j'avais réussi à emporter avec moi mes affaires personnelles, une ceinture en fil électrique tressé, la
    – 191 –

    cuillère-couteau, une aiguille et trois aiguillées de fil, cinq boutons; et enfin dix-huit pierres à briquet que j'avais volées au Laboratoire Chacune de ces pierres, patiemment travaillée au couteau, pouvait fournir trois pierres plus petites, du calibre d'un briquet normal. Elles

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