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Si je meurs au combat

Si je meurs au combat

Titel: Si je meurs au combat Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tim OBrien
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personnages de livres de Hemingway ou de Maugham. Dans ses lettres, elle affirmait que je la faisais sortir tout droit de mon imagination, disait-elle, pouvait admirablement transformer la réalité. Donc, j’évitais le sergent instructeur, je m’adossais contre les dortoirs et lui répondais.
    Je pensais un peu au Canada. Je pensais au fait de refuser de porter le fusil.
    Je commençais à me lasser de l’indépendance.
    Un soir, j’ai demandé à Erik ce qu’il était en train de lire. Il avait ciré ses pompes, il avait mis sa cantine debout, et comme on avait encore une demi-heure avant l’extinction des feux, il était allongé sur le dos et lisait un livre. Erik. Tout maigre, avec une voix profonde, vêtu de son uniforme kaki, calme. Il a répondu qu’il lisait La Matrice.
    — T. E. Lawrence. Tu sais, Lawrence d’Arabie. Il a traversé quelque chose qui ressemble à ça. Tu sais, un truc comme les classes. Ce livre, c’est une sorte de guide pratique.
    Il disait qu’il ne faisait que le survoler, qu’il l’avait déjà lu, et il me l’a donné. C’est grâce à La Matrice que je suis devenu soldat, que j’ai compris que j’étais soldat. J’ai succombé. Je n’ai alors plus éprouvé le moindre désir de me sentir coupé du groupe, j’ai accepté la vie militaire. J’ai accepté cette nouvelle amitié et, d’une certaine manière, j’ai trahi ma magnifique souffrance à laquelle je m’étais tant attaché.
    Erik parlait de poésie, de philosophie, de voyages. Mais il parlait aussi de la vie militaire. On formait une coalition. Avant tout une coalition contre l’armée, mais aussi contre les autres bleus. L’idée, grosso modo, consistait à tenter de se préserver. Il s’agissait d’une guerre de survie menée par deux gars, et l’on menait une véritable guérilla, on se battait avec ce qu’on avait sous la main, on faisait couler le sang de l’armée, on courait comme des lapins. On tentait de se fondre dans la masse. Sous leurs yeux injectés de sang. On les mettait à nu, même s’ils ne s’en rendaient absolument pas compte. On les laisserait volontiers mourir d’anémie, une goutte de sang à la fois. C’était une guerre de résistance ; l’objectif, c’était de sauver notre âme. Cela impliquait par moments de cacher ce qu’il nous restait de lucidité et de conscience derrière des cris de guerre, de faire croire qu’on était serviles, nus, poings serrés, au garde-à-vous. Nos conversations privées constituaient la clef de voûte de la résistance, peut-être parce que le simple fait de parler de nos classes avec des mots bien choisis, honnêtes, constituait une insulte à l’éducation militaire. Le simple fait de penser, de parler, d’essayer de comprendre, constituait la preuve qu’on n’était ni du bétail ni des machines.
    Erik prétendait parfois qu’il n’avait pas le courage fondamental des poètes et des philosophes qu’il lisait pendant ses premières soirées à Fort Lewis.
    — J’étais au Danemark quand j’ai reçu ma feuille d’appel. Je ne voulais pas rentrer. Je voulais devenir un citoyen européen et écrire des livres. Je commençais même à avoir des plans avec des nanas, là-bas. Mais je viens d’une petite ville et mes parents connaissent tout le monde, alors je n’ai pas voulu les blesser ni leur foutre la honte. Et, bien sûr, j’avais la peur.
    Il s’agissait peut-être de lâcheté, mais peut-être aussi de bon sens. Quoi qu’il en soit, Erik et moi, on ne faisait que très rarement passer notre petite guerre à l’étape offensive, et quand on était assez débiles pour tenter le coup, on se faisait rétamer comme des merdes. Un beau matin, Erik a coincé le sergent instructeur de la compagnie, un certain Blyton, et lui a réclamé un rendez-vous, une discussion privée. Blyton a violemment poussé Erik dans une pièce.
    Erik lui a expliqué qu’il était contre la guerre du Viêtnam. Il lui a dit qu’il pensait que la guerre n’était pas justifiée, qu’on ne devait pas mettre sa vie en danger, sauf si des principes à cent pour cent certains, des principes fondamentaux, étaient clairement en jeu, mais pas si ces principes pouvaient être remis en question.
    Erik ne m’a rien dit de cet épisode pendant plus d’une semaine. Et quand il m’en a parlé, il m’a juste raconté que Blyton s’était contenté de se foutre de lui et qu’il s’était mis à hurler et à le traiter de lâche.
    — Il

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