Si je meurs au combat
articles sur les soldats qui avaient tracé leur route, direction le Canada, la Suède, la France ou l’Irlande. La bibliothécaire m’a dégoté des exemplaires de Newsweek et du Time et je me suis mis dans un coin pour prendre des notes.
La plupart des articles n’étaient que de simples entretiens avec les déserteurs, ils racontaient leur vie à Stockholm, où ils vivaient en toute liberté, ou encore à Paris, où ils se planquaient, circulaient sous un faux nom et se laissaient pousser la barbe. C’était pas mal – je m’intéressais surtout à leur psychologie, je voulais savoir ce qui les avait poussés à plier bagage et à mettre les voiles –, mais j’avais besoin de quelque chose d’un peu plus concret. Ce que je cherchais, c’étaient des détails, des petits trucs bien pratiques. Je voulais connaître les lois des différents pays, quels pays acceptaient les déserteurs, et sous quelles conditions. Dans l’un des articles du Time , j’ai trouvé une liste d’organisations situées en Suède et au Danemark, ainsi que le nom d’un type, en Hollande, un membre du Parlement, qui s’occupait d’un réseau de transport secret et qui faisait transférer les soldats qui n’y croyaient plus dans des lieux où ils devenaient libres. J’ai noté les noms et les adresses.
Dans un autre article, un type expliquait quels étaient les meilleurs itinéraires pour se rendre au Canada, les lieux ou les déserteurs passaient la frontière. Pas un seul pays membre de l’OTAN n’acceptait les déserteurs de l’armée américaine ; il existait entre ces pays une sorte de pacte mutuel d’extradition. Je savais que le Canada accueillait ceux qui cherchaient à esquiver l’appel sous les drapeaux, mais impossible de trouver quoi que ce soit de concret sur les lois canadiennes concernant les déserteurs – difficile d’imaginer que nos voisins nordiques aillent jusque-là. La Suède, malgré tous les problèmes pour s’y adapter et pour y trouver du travail, paraissait encore être la meilleure solution.
J’ai souri à la libraire quand je lui ai rapporté les magazines. Je me suis ensuite rendu dans l’entrée de la bibliothèque et j’ai appelé la gare routière. Pour ne pas prendre de risque, j’ai changé de voix – ils avaient peut-être mis en place un dispositif d’enregistrement – et je me suis renseigné sur les tarifs ainsi que sur les horaires des bus qui allaient à Vancouver. De Seattle, Vancouver n’était qu’à deux heures de route, a dit le type au bout du fil, les tarifs n’étaient pas élevés et les bus partaient très fréquemment, même de nuit.
Après quoi j’ai passé un coup de fil à l’aéroport de Seattle pour me renseigner sur les tarifs des vols à destination de Dublin, en Irlande.
J’y suis allé avec des pincettes, comme un pro, et je me suis d’abord renseigné sur les tarifs des grosses compagnies américaines, en leur disant que j’étais étudiant et que je voulais y faire des recherches. Ensuite, j’ai appelé Air Canada, je leur ai raconté la même histoire, et je leur ai dit que j’allais peut-être partir de Vancouver. Le type m’a demandé si je voulais le tarif d’un aller simple ou d’un aller-retour. Je m’étais préparé à cette question et, pour faire naturel, j’ai attendu pendant une seconde ou deux avant de répondre que j’étais curieux de connaître les deux tarifs. Parce que j’allais peut-être rester à Dublin pendant plusieurs mois. Peut-être même plus.
Après avoir fait tout ça, je suis retourné dans mon petit coin de la bibli et, pour la première fois, j’ai réussi à me convaincre que c’était vraiment possible. Personne n’allait m’arrêter à la frontière canadienne, pas en bus. Un vol pour l’Irlande ne paraîtrait pas louche du tout. À partir de l’Irlande, ça ne prendrait qu’un jour ou deux de bateau pour arriver en Suède. C’était tout à fait faisable, aucun doute là-dessus.
J’ai écrit une lettre à mes parents, au milieu de laquelle je leur demandais de m’envoyer mon passeport et mes certificats de vaccination. J’avais passé l’été 1967 en Europe, à l’époque où les voyages étaient encore une évasion, et non une tentative d’évasion. Je leur ai dit que j’avais besoin de mon passeport pour les jours de perme, au Viêtnam. Et j’ai ajouté que l’armée avait besoin de mes certificats de vaccination.
J’ai fait les comptes. Cinq cents dollars
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