Si je meurs au combat

valeur. Je crois, même si ce n’est sans doute pas l’ultime vérité, que la vie humaine a une grande valeur, parce que les hommes, contrairement aux autres espèces, ont conscience des notions de bien et de mal ; et parce qu’ils ont conscience qu’ils doivent faire le bien, et non pas le mal ; et parce que, souvent, les gens essaient malgré tout de faire le bien, même quand leurs actes ont des conséquences personnelles vraiment douloureuses. Je crois donc qu’un homme devient encore plus humain lorsqu’il essaie de reconnaître et de comprendre ce qui est juste, lorsqu’il essaie de questionner les choses en utilisant sa raison, et lorsqu’il se demande : est-ce que ce que je vais faire est juste ? Enfin je crois qu’un homme ne devient vraiment humain qu’à partir du moment où, lorsqu’il essaie de comprendre si ce qu’il fait est juste ou non, ses actions donnent une véritable réalité à ce soi-disant courage de l’esprit.
    Mon père, je pense que la guerre n’est pas juste. Je ne devrais donc pas la faire.
    Bon, maintenant, on pourrait tout à fait parler des raisons qui m’ont mené à cette conclusion, bien sûr, et je serais tout à fait d’accord pour le faire, mais n’oubliez pas que le temps est compté, chef, qu’il ne reste plus beaucoup de temps. Je pars pour le Viêtnam dans deux mois.
    De toute manière, autant ne pas parler de ces raisons, et je préférerais parler de la logique qui se trouve derrière tout ça, parce que, je suis désolé de le dire, mais j’ai bien peur que vous ne puissiez pas me faire changer d’avis. Bon, on ne sait jamais, c’est sûr, et peut-être bien que vous y parviendrez. Et je ne peux pas refuser de parler de la guerre, pas si c’est ce que vous souhaitez, pas si vous pensez que c’est la seule chose que vous êtes en mesure de faire. Mais j’ai bien peur qu’on en vienne à se fâcher. Et je n’ai pas le droit de me fâcher contre un officier, même pas contre un aumônier, ce qui fait que je préférerais éviter la question de la logique en elle-même.
    Pensez plutôt aux conseils que vous pourriez me donner sur l’action, sur ce qu’il faudrait faire de manière plus spécifique. Très précisément, je suis venu chez vous pour voir si vous ne trouvez pas qu’il y a une contradiction entre ce qu’on nous demande de faire et une philosophie qui stipule que la voie qui nous mène à la fameuse Ville d’Émeraude du Magicien d’Oz, la voie qui nous mène à Dieu, la voie qui nous mène à confronter et à vaincre la méchante sorcière, eh bien, la seule voie possible, c’est d’obéir à des décisions morales qui s’appuient sur notre raison. Existe-t-il une alternative à cela ?
    — La foi, a-t-il répondu.
    Il a hoché la tête de manière solennelle avant de se lever et de répéter :
    — La foi. La foi, c’est comme ça qu’on y arrive.
    On aurait dit qu’Edwards s’apprêtait maintenant à me congédier, et je voulais capter ce qui pouvait bien lui passer par la tête, alors qu’il m’écoutait, qu’il observait mon état d’anxiété, et tout ça pour conclure par un gentil petit mot avant de me montrer la direction de cette bon Dieu de porte.
    — Bon, a-t-il enchaîné, je suis aumônier, mais comme tu viens de le dire, je suis aussi officier. Un capitaine dans l’armée américaine. Et je crois que t’as pas simplement tort mais, franchement, je crois que t’es déboussolé, vraiment déboussolé. Pas dingue, soyons clair – c’est pas ce que je veux dire. Tu vois… t’as lu trop de bouquins, et pas les bons, ça, je crois qu’il n’y a aucun doute sur la question : pas les bons bouquins. Mais bon Dieu – excuse-moi –, bon Dieu, t’es un troufion, maintenant, et ce qui est sûr, c’est que t’as intérêt de commencer à te conduire comme un troufion ! Un peu de foi, de discipline. Tu sais que ce pays est un bon pays. C’est grâce à notre armée qu’on est devenu une grande puissance – on a fait comme les Romains, comme les Grecs, comme toutes les autres civilisations. Elles sont toutes devenues de grandes puissances grâce à leur armée. Ou à leur flotte. Les gens font ce que leur pays leur dit de faire. Et c’est là qu’intervient la foi, tu comprends ? Si t’es d’accord avec le fait que l’Amérique, c’est un pays carrément super, bon, alors t’écoutes ce que ton pays te dit de faire, et tu suis les ordres qui te sont donnés. Le pays te dit de te