Si je meurs au combat
battre, eh ben tu y vas et tu te démènes comme un putain de diable. T’essaies de gagner.
Edwards esquissait un sourire après chacun de ses gentils petits jurons, pour modérer un peu le propos, pour montrer qu’il n’était pas trop distant, qu’il était en contact avec le monde réel, que c’était pas un prêcheur complètement coincé.
— Tu me suis ? Il s’agit là d’un principe de base. La foi. Quand tu regardes bien, tu vois que la foi est un principe chrétien qui ne date pas d’hier. Je pense que ce principe est né avec Jésus en personne. Quoi qu’il en soit, c’est bien la foi qui a fait bouger les croisés, il y a un bon bout de temps. C’est la foi qui leur a fait tenir le coup. Dieu en témoigne. Tous ceux qui ont lu Norah Lofts et Thomas Costain le savent pertinemment. Ou alors les livres d’histoire. T’as fait la fac. On ne vous fait plus lire Pierre l’Ermite ? Eh ben, Pierre l’Ermite a réussi à rassembler une armée et il a conduit lui même ses soldats jusqu’à Jérusalem. Ils ont fait mille cinq cents bornes pour reprendre la Ville sainte. Bon Dieu, tu crois peut-être qu’il est resté à se tourner les pouces dans son monastère pour tenter de résoudre le problème ? Il avait la foi.
— C’est censé être une analogie ? j’ai demandé. Le Viêtnam, c’est une nouvelle croisade chrétienne ?
Edwards n’était pas content.
— Tu crois que je suis un fasciste ? Je suis sûr que tu penses un truc dans le genre. Ces temps-ci, tous les soldats et tous les hommes d’Église sont des fascistes, des anti-intellectuels.
Il a sorti un mouchoir et s’est essuyé le front d’un mouvement brusque, comme un employé de station-service qui nettoie un pare-brise.
— Bien sûr que non, le Viêtnam, c’est pas une croisade pour le Christ. Les hippies ont peut-être raison, peut-être que c’est jamais pour Dieu qu’on fait la guerre. Mais ça n’empêche pas qu’on a encore la foi, et il en faut. Il faut bien avoir foi en quelqu’un. Un jour, O’Brien, tu vas réaliser qu’il y a quelque chose, là-haut, tout là-haut, bien au dessus de ton intelligence à la noix. Même si t’es le nouvel Einstein ou le nouveau Galilée.
— Cette guerre a été conçue par l’intelligence humaine, j’ai répondu. Un type a décidé de se battre. Qu’il s’agisse de Lyndon Johnson, de Bundy, de Rostow, de Rusk, de McNamara ou de Taylor, l’un de ces types a pris une décision.
— Et qu’est-ce que tu fais de McKinley, alors ? McKinley, lui, il a prié. On n’a pas fait la guerre hispano-américaine sur un simple coup de tête. Le président McKinley a attendu et attendu. Il a prié, il a imploré l’aide du Seigneur, et le Seigneur lui a finalement dit qu’il fallait faire la guerre.
— On n’a pas lu les mêmes livres.
— Pas lu les mêmes livres, mais bon Dieu ! C’est de l’histoire.
— C’est l’histoire de McKinley.
Le capitaine Edwards s’est mis à gueuler :
— Bon, soldat O’Brien, c’est quoi, les bouquins que tu lis ? Qui est-ce qui te raconte que la guerre, c’est pas bien ?
Le fait de m’appeler « soldat O’Brien », ça mettait la puce à l’oreille.
— Chef, je lis les journaux. On est en pleine campagne présidentielle. Le Viêtnam, c’est le plus grand sujet, en ce moment, presque le seul sujet, et j’écoute les discours des candidats. J’étais pour McCarthy, ce qui fait que je l’ai entendu parler de la guerre. J’ai lu des livres de Bernard Fall…
— Bernard Fall ! s’est mis à hurler Edwards. Moi aussi, j’ai lu Bernard Fall. C’est un professeur. Un prof. Écoute, qu’est-ce que tu sais sur le communisme, O’Brien ? Est-ce que tu penses que les communistes, c’est une bande de politiciens inoffensifs et tout gentils, des gars prêts à devenir nos meilleurs potes ? Je suis allé en Russie, j’ai vu comment les gens vivent, là-bas, alors autant dire que je sais un peu de quoi je parle. Tu crois peut-être que Ho Chi Minh va transformer le Sud-Viêtnam en petit coin de paradis ?
— Eh ben, chef, on a très peu de preuves qui nous permettent de savoir si le Sud-Viêtnam, sous un régime communiste, ça sera un endroit pire que le Sud-Viêtnam dirige par un gars comme Diem ou comme Khanh. Ce que je veux dire, c’est qu’on n’a aucune preuve convaincante, en tout cas, moi, cela ne me convainc pas du tout : toutes les vies qu’on est en train de perdre, les enfants
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