Si je meurs au combat
suis pas près de la fille que j’aime, j’aime la fille qui est près de moi ! » Un autre ciné jouait Le Lauréat , un film qui m’a fait penser à ma petite copine de la fac. J’ai continué ma balade en sifflant « Old devil moon », jusqu’à ce que le mal de tête me reprenne.
Un peu plus loin, vers le port, la rue était moins éclairée. Une prostituée m’a attrapé avec son parapluie et m’a demandé si j’avais envie d’un peu de compagnie.
— Non, merci, je suis un peu malade, ce soir.
— Bon, ben tu peux me dépanner d’un ou deux dollars ?
— Désolé, mais cet argent, j’en ai vraiment besoin. Vous pouvez pas imaginer à quel point j’en ai besoin.
Arrivé à l’hôtel, j’ai vomi. Je me suis endormi, réveillé, rendormi, et quand je me suis réveillé à nouveau, j’ai entendu qu’il pleuvait. J’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu que toute la neige avait disparu, qu’il ne restait plus que de la neige fondue toute grise. Je me suis assis au bureau. Le sac de déserteur était prêt, mais cette chambre dégueulasse et le fait d’être seul me foutaient la trouille. J’ai dormi encore un peu, j’ai fait un rêve, et quand je me suis réveillé, j’ai vomi et me suis rendu compte qu’il commençait à faire jour. J’ai brûlé les lettres destinées à ma famille. J’ai relu les autres et je les ai brûlées elles aussi. Je suis allé dans le couloir pour m’acheter un Coca. Après l’avoir bu, je me suis senti mieux, j’avais les idées claires, et j’ai brûlé tous les documents que j’avais préparés. J’étais un lâche. J’étais malade.
J’ai été malade pendant toute la journée de samedi. Nerveux, aussi, et je me sentais désespéré. Dimanche matin, j’ai pris un bus pour la base. Je suis allé à la bibli, j’ai lu. Ensuite, j’ai bouffé un beignet dans la boutique à beignets avant de retourner au dortoir. Les autres gars, qui venaient de rentrer de leur perme, faisaient un boucan infernal. La moitié d’entre eux étaient encore bourrés, ils se chamaillaient, gueulaient comme des bœufs, parlaient de Noël. Plus un seul coin où l’on pouvait être seul.
VII
ARRIVÉE
D’abord, il y a de la brume. Après, quand l’avion commence à descendre, il y a des montagnes gris pâle. L’avion descend tranquillement et les montagnes deviennent plus sombres, de plus en plus escarpées, ça en devient sinistre. Tu vois les contours des crevasses, et tu commences à te demander si tu ne vas pas finir par foutre les pieds dans l’un de ces coins, là, en bas, et y crever. Au loin, il y a des îlots tout verts, en dessous, c’est la mer, avec un banc de sable qui s’étend tout le long de la côte. On est deux cents gars à retenir notre respiration. On n’ose pas se regarder. On sent la flippe. Mais comme ça rimerait à rien de se laisser un peu trop aller, on déconne : plus que trois cent soixante-cinq jours à tenir. L’hôtesse de l’air te souhaite bonne chance dans les haut-parleurs. Quand on sort, elle fait quelques bises, surtout aux extravertis.
Quand t’arrives à Cam Ranh Bay, tu prends un autre avion qui t’amène à Chu Lai, une grande base située au sud de Danang, le quartier général de la Division Americal. T’y passes une semaine, dans un lieu qui s’appelle le Centre de combat. Un endroit qui ressemble à une station balnéaire, au bord de la mer de Chine du Sud, un endroit parfait, avec du sable blanc, des filles du coin, un golf miniature, des spectacles de strip-tease avec toutes les variétés possibles de pelvis féminins. Là, au bord de la mer t’as droit à ton dernier entraînement, genre maintenant-ou-jamais. Tu balances des grenades, tu t’entraînes à marcher dans des champs truffés de mines, t’apprends à utiliser un détecteur de mines. Mais surtout, tu penses à la mort. Tu te demandes ce que tu vas ressentir, à quoi ça ressemble, à l’intérieur de ton corps. Parfois, tu t’arrêtes, et tu commences à frissonner. T’as le sang et les nerfs qui tournent à plein pot. La nuit, tu vas t’asseoir sur la plage et tu regardes les explosions qui illuminent le ciel, là-bas, où il y a la guerre. Le soir, il y a des films, et puis aussi un coin où tu peux te payer des bières. Tu barres soigneusement six jours sur ton calendrier de poche ; tu commences un journal et tu espères vaguement que personne ne le lira jamais.
Arriver au Viêtnam en tant que fantassin, c’est un peu
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