Si je meurs au combat
Slocum, Smith, Easton, Dunn, Chip, Tom – tous ces soldats marchaient sans relâche, ils enduraient la terreur, attendaient, fixaient leurs pieds, mais les mines ont quand même fini par les prendre. Est-ce qu’ils étaient sages, quand ils ont continué à marcher ? L’alternative, quand on y repense, quand on écoute la radio, quand je revois le capitaine Johansen finir ses tournées avant de retourner sur son poncho, l’alternative, me suis-je dit, ce serait de s’asseoir sur un tout petit bout de terrain et d’attendre tranquillement la fin de la guerre.
— Vous allez être content de retourner à l’arrière, chef ?
— Bien sûr que oui, a-t-il répondu en souriant et en haussant les épaules. La compagnie va me manquer. Mais la guerre, en revanche, je crois pas qu’elle va vraiment me manquer.
— Je ne comprends pas comment vous pouvez rester tellement détaché. Bon Dieu, à votre place, je serais planqué dans mon trou, à un kilomètre sous terre, à attendre qu’un hélico vienne me sortir de là.
Le capitaine s’est enroulé dans son poncho ; et puis il s’est couché sur le côté et on aurait pu croire qu’il s’était endormi.
Quoi qu’il arrive, quand on fait la guerre, on ne peut pas s’empêcher de penser à la notion de courage, à ce que c’est que le courage, et si on en a ou pas. On raconte qu’Ernest Hemingway était obsédé par ce besoin de montrer de la bravoure au combat. On raconte que ça l’aurait pris pendant la Première Guerre mondiale et que ça s’est terminé le jour où il a réussi son dernier test, au fin fond de l’Idaho. Si l’homme était obsédé par la notion de courage, c’était une erreur. Mais quand on lit les textes que Hemingway a écrits pour les journaux, quand on lit ses nouvelles sur la guerre, on se rend compte qu’il était simplement préoccupé par la question du courage, donc par celle de la lâcheté, ce qui semble être une vertu, une préoccupation sublime et profonde que peu d’hommes partagent. Car le courage, d’après Platon, est l’une des quatre qualités qui constituent la vertu. Elle est là, aux côtés de la modération, de la justice et de la sagesse, et toutes ces qualités sont nécessaires pour créer un être humain digne de ce nom. En fait, Platon dit même que les hommes sans courage sont aussi des hommes qui ne connaissent ni la modération, ni la justice, ni la sagesse, tout comme les hommes sans sagesse ne peuvent être vraiment courageux. Les hommes doivent pertinemment savoir que ce qu’ils font est courageux, ils doivent savoir que c’est ce qu’il faut faire, et ce type de savoir, voilà exactement à quoi correspond la sagesse. Ce qui explique pourquoi je ne connais que très peu d’hommes courageux. Soit ils sont débiles et ne savent donc pas ce qu’il faut faire. Soit ils savent ce qu’il faut faire, mais ne parviennent pas à se contraindre à passer à l’acte, parce qu’ils savent quelles en seront les conséquences. Ou alors, ils savent ce qu’il faut faire et le font, mais ils ne ressentent pas et ne comprennent pas la peur qu’il faudrait surmonter. Ce genre de chose implique un mec vraiment à part.
Le courage, c’est autre chose qu’une charge.
Autre chose que de crever ou de souffrir en silence d’une rupture amoureuse, ou encore d’être brave.
C’est un tempérament, et plus encore, une forme de sagesse. Est-ce que la vache plantée là, immobile, passive, était plus courageuse que les gosses vietnamiens qui ont pris leurs jambes à leur cou quand la compagnie Alpha a commencé à tirer ? Pas vraiment. Les vaches sont extrêmement bêtes.
Il serait bien sûr faux d’affirmer que tous les soldats de la compagnie Alpha pensaient autant au courage qu’un type comme Hemingway ou comme le capitaine Johansen. Le simple fait de faire la guerre n’est pas en soi une marque de courage, pas plus qu’une médaille. Il y avait des tire-au-cul dans la compagnie Alpha. Ces gars-là n’en avaient pas grand-chose à foutre du courage et se foutaient pas mal de savoir si le reste de l’équipe les aimait ou non.
— Merde alors, mon pote, le truc, quand t’es au Viêtnam, c’est d’arriver à dégager un jour du ’Nam. Et je veux pas parler de dégager en morceaux dans un sac en plastique. Ce que je veux dire, c’est sortir de là en vie, histoire que ma gonzesse puisse me tripoter et que je sente encore quelque chose.
Les tire-au-cul arrivaient à simuler les
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