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Si je meurs au combat

Si je meurs au combat

Titel: Si je meurs au combat Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tim OBrien
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peut-il être capable de quitter Ingrid Bergman, de lui demander de partir, même pour la plus noble des causes ? Shane, qui fait face à ce vaurien. Vere, qui envoie ce petit blond, un bègue, un être purement innocent, à la potence. Et surtout Frédéric Henry, dans L’adieu aux armes de Hemingway, quand il parle à la femme de sa vie, Catherine Barkley :
    « Tu es courageuse.
    — Non, répondit-elle. Mais j’aimerais l’être.
    — Je ne le suis pas, moi. Je me connais bien. Ça fait assez longtemps que je baroude pour le savoir. Je ressemble à un joueur de base-ball qui envoie la balle à soixante-dix mètres et qui sait très bien qu’il ne pourra jamais faire mieux.
    — Mais un joueur qui envoie la balle à soixante-dix mètres, c’est déjà vraiment impressionnant.
    — Non, au base-ball, ça fait de toi un joueur médiocre.
    — N’empêche que t’es toujours un joueur, dit-elle d’un ton encourageant.
    — J’imagine qu’on est tous les deux des orgueilleux, répondis-je. Mais toi, tu es courageuse. »
    Mais au Viêtnam, dans les villages de My Lai et de My Khe, où la question du courage devient critique, personne, mis à part le capitaine Johansen, ne semblait s’en soucier le moins du monde. Pas les tire-au-cul, en tout cas. Pas Arizona, le gosse qui s’était pris une balle en pleine poitrine la fois où il était parti tout seul à l’assaut. Le toubib non plus. Alors, le jour où j’ai enfin remplacé mes héros romanesques par des personnes en chair et en os, il n’y avait plus grand monde qui se bousculait au portillon : c’était soit le capitaine, soit personne.
    Je l’observais, il s’était endormi, couché sur le côté, et il ne restait plus que son ombre enveloppée dans un poncho. Je me suis demandé ce qui faisait de lui un véritable héros.
    Il était blond. Il semble que les héros idéalisés soient le plus souvent blonds. Quand il était civil, il conduisait des voitures de course, et ça lui avait valu une vraie cicatrice en récompense. Il avait des médailles. Une pour avoir tué ce Viêt-cong, une Silver Star. Il ressemblait à Vere, à Bogie, à Shane, à Adams et à Frédéric Henry, des êtres solitaires au sein d’un troupeau d’hommes, des hommes inférieurs à lui, ce qui ne l’empêchait pas d’être triste et torturé parce qu’il n’était pas parfait. Voilà en tout cas l’impression qu’il donnait. Mais peut-être, après tout, d’autres hommes, certains des fantassins dont il était responsable, des types qui n’étaient pas aussi courageux que lui, étaient-ils morts au moment où ils n’auraient pas dû mourir, d’après les critères qui constituent un héros ?
    Comme celui de mes héros romanesques d’avant-guerre, le courage du capitaine Johansen était un modèle. Et tout comme je n’arriverais jamais à la cheville de la prouesse d’Alan Ladd, ni du talent de persuasion du capitaine Vere, ni de la détermination de Nick Adams à se confronter à sa propre mort, à une mort véritable (à la place d’Adams, je serais remonté sur mon cheval, avec sa mauvaise patte et tout ça, et je me serais barré au galop jusqu’à me vider de tout mon sang sur la selle), je n’arriverais jamais à la cheville de mon capitaine. Peu importe, j’avais trouvé un héros en chair et en os, et ça faisait du bien de constater que certains êtres humains pouvaient incarner de grandes valeurs, qu’ils ne se désintégraient pas forcément à la fin d’un livre ou d’une bobine de film.
    J’ai repensé par intermittence au courage pendant le reste de mon temps au Viêtnam. Lorsque je comparais à Johansen les chefs de compagnie qui lui ont succédé, je me rendais bien compte qu’il était le seul à nourrir une idée du courage, suffisamment pour y penser et pour essayer de s’en approcher. Le capitaine Smith a avoué qu’il était lâche, c’est exactement ce mot-là qu’il a utilisé. Le capitaine Forsythe faisait le dur, il roulait les mécaniques, mais malgré tout son cinéma il n’a jamais réussi à nous le faire avaler.
    Vu de l’extérieur, rien n’a beaucoup changé après le départ du capitaine Johansen. On perdait toujours à peu près autant de mecs. On faisait toujours à peu près le même nombre de combats, toujours le même genre de petites escarmouches.
    Mais quand on l’a perdu, c’était comme le jour où les Troyens ont perdu Hector. Il nous donnait de sacrées raisons de nous battre. Il ne

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