Si je meurs au combat
qu’ils truffaient le sol d’éclats d’obus, alors avec ou sans mines, les écouteurs n’arrêtaient pas de sonner. On farfouillait par-ci par-là, et on essayait de toucher à rien, mais c’était pas comme ça qu’on allait trouver des Viêt-congs. On se contentait de marcher. C’étaient les ordres, le plan, et on tâchait de faire ça sans bruit et sans prendre trop de risques. Le troisième hameau était rempli de femmes et d’enfants. On les a rassemblés dans la rizière et les engins sont descendus de leur colline. On a fumé et sorti nos rations C pendant que le capitaine Smith et le chef des engins à chenilles s’engueulaient à propos de la procédure à suivre. Ils ont décidé qu’on allait emmener les civils au camp où l’on allait s’installer pour la nuit, et la logique de tout ça était limpide : on était à la recherche de leurs maris et de leurs pères, alors tant qu’on aurait les femmes et les enfants sous la main, on serait en sécurité. On a donc fait monter les vieilles femmes dans nos véhicules et les mômes ont grimpé comme des grands. Puis on s’est foutu dans cette rizière putride, mouillée et boueuse. Les chenilles ont formé un cercle. Les civils se sont entassés au milieu de ce périmètre, comme s’ils en avaient l’habitude, et ils se sont endormis.
Le capitaine Smith s’est assis à côté de la radio :
— Carrément bonne stratégie, non, mon petit Timmy ? La formation de la ROTC, c’est pas aussi naze que ça, en fin de compte, hein. Hé, hé. En fait, je peux bien te l’avouer, maintenant : ça vaut pas un clou, comme formation. J’aurais sûrement mieux fait d’aller à l’école militaire de West Point, mais bon, comme papa me disait toujours, commence par le commencement. La ROTC, c’est vrai que c’est pas du tout le top.
Il a fait une pause puis il a changé de ton pour passer au mode autoritaire.
— Appelle le quartier général, dis-leur qu’on s’est installés pour la nuit. Pas d’embuscades. Tu me codes tout ça et tu leur expliques qu’on bouge au lever du soleil, demain.
On a bougé au lever du soleil et on a laissé les civils en plan dans la boue. Smith nous a donné l’ordre d’aller fouiller les bunkers et les abris à bombes, alors c’est ce qu’on a fait – on a balancé des grenades en passant devant. L’une des grenades a fait sortir une vieille dame de son abri à bombes. Elle avait dans les soixante-dix ans et elle pissait le sang de partout. Les toubibs l’ont rafistolée comme ils ont pu. Elle était consciente. Elle les regardait pendant qu’ils lui mettaient des bandages autour des seins. Ils lui ont fait des piqûres de morphine. Et puis on a appelé un hélico, et quand il est arrivé, le toubib et le gars qui avait amoché la petite vieille ont essayé de l’aider à se relever. Elle leur glissait des mains comme un poisson mouillé. Elle était presque morte, mais elle avançait comme elle pouvait, à quatre pattes ; elle faisait des petits bruits d’animal et tentait tout ce qu’elle pouvait pour essayer de retourner dans son trou. Pour la faire monter dans l’hélico, les toubibs ont dû la porter. Elle a gueulé tout du long. Les bandages pendouillaient, elle avait du sang plein les cheveux et les yeux. Elle hurlait, mais l’oiseau mécanique s’est mis à rugir, à se lever, à baisser le bec, et puis il est parti avec elle.
C’était la fin de notre mission. On est montés dans les engins à chenilles, on a pendu nos sacs à dos aux crochets, enlevé nos casques, et puis on a fait pendouiller nos jambes par-dessus bord. Je me sentais bien. J’ai accroché la radio sur le rebord de l’engin et me suis mis sur le dos pour causer avec les autres sections. On a quitté tous ces villages et on a tracé dans la rizière. C’était un marais. La boue arrivait à hauteur de cuisse.
C’est là que des lance-roquettes ont commencé à nous tirer dessus depuis le village. Les roquettes ont atterri juste devant le premier engin.
— Planquez-vous ! Bordel, dégagez de ces engins !
Le mec chargé de la mitrailleuse de calibre. 50 nous gueulait dessus :
— Cassez-vous de là, que je puisse tirer !
Après ça, on a eu droit à des tirs d’armes légères, ça giclait dans l’eau.
On a sauté des engins. On aurait dit que tous les mitrailleurs s’étaient mis à tirer en même temps.
On s’enfonçait dans la boue, on ne pouvait presque plus bouger Là, on a essayé de
Weitere Kostenlose Bücher