Si je meurs au combat
choper nos munitions et nos flingues. J’ai voulu détacher la radio, fusil entre les jambes. La radio ne bougeait pas d’un poil et les roquettes ont recommencé à péter. Nos coups de feu se sont arrêtés et on s’est tous planqués, couverts de sueur. Tout doucement, les coups de feu ont repris.
La rizière était profonde. Elle était verte et marron foncé, et on se démenait comme pour avancer. Les engins ont alors commencé à faire marche arrière. Par la suite, on a appris qu’il s’agissait de la manœuvre normale : quand ils se prennent des tirs de roquettes, ils partent en marche arrière à fond les manettes.
Ils nous ont foncé dessus. On ne pouvait pas bouger, c’était comme dans un cauchemar, quand tu as les jambes remplies de béton et qu’elles ne sont plus connectées par les nerfs au cerveau.
Les engins ont écrasé Paige et lui ont arraché le pied. L’un des lieutenants était touché, mais il est allé à la rescousse de Paige et l’a sorti de la boue. Ortez s’est fait amortir par la boue quand un engin lui a roulé dessus, mais il a quand même eu droit à une jambe cassée. Il s’est mis à tituber devant moi, couvert de sang, sans casque ni mitraillette. Il a bazardé sa gourde, et puis aussi sa ceinture de munitions. Il s’est arrêté, s’est retourné et s’est mis à faire des bonds, pour éviter le nouvel engin qui déboulait. Il pleurait.
Un engin a écrasé un petit gars qui s’appelait McElhaney. Il ne pouvait pas bouger, parce qu’il portait une radio, et il est mort étouffé et écrasé.
Les engins à chenilles continuaient à faire marche arrière. Les mitrailleurs tiraient comme des malades en direction du village. De nouvelles salves de roquettes ont explosé dans la rizière. Les engins et tous les gars qui étaient dans la gadoue fonçaient comme ils pouvaient en marche arrière.
C’était la bataille de Bull Run, en Virginie, pendant la guerre de Sécession, et vas-y qu’on se débattait dans la boue pour tenter d’échapper aux véhicules. On a balancé nos munitions, nos casques et nos ceintures dans la rizière. Il y avait du matos partout. J’ai laissé ma radio pendre sur les rebords de l’engin à chenilles et j’ai essayé de rattraper la compagnie. On a fini par s’arrêter. On s’est foutus en ligne, tout le long de la digue de la rizière, prêts à tirer.
Les engins se sont arrêtés devant nous.
Smith est venu nous voir et nous a dit qu’il voulait appeler le quartier général pour qu’ils envoient une attaque aérienne sur le village. Il a essuyé ses lunettes et s’est mis à se marrer. Je suis allé à l’engin, j’ai récupéré ma radio, et un opérateur de la compagnie est aussi allé chercher la sienne dans la rizière. Vingt minutes plus tard, les avions à réaction arrivaient.
On les a regardés balancer le napalm.
Les toubibs ont filé de la morphine à Paige, qui était assis à l’intérieur d’un engin. Il fumait, ne pleurait pas, ne souriait pas, il avait l’air complètement calme. Il savait qu’il allait rentrer au pays ; pour lui, c’était la seule chose qui comptait.
— Bordel, mon pote, ça fait mal ? Bon Dieu, ça doit faire un mal de chien.
Il y avait des potes noirs de Paige dans l’engin, ils lui parlaient et, par moments, ils se marraient.
— Mec, t’as du cul. La guerre est terminée, mon gars.
— Merde alors, laisse tomber la pluie. Tu viens de te dégoter une blessure d’un million de dollars, là. Demain, t’es à la maison, sans problème.
Smith a pointé sa tête toute ronde dans l’engin. Il a dit à Paige de tenir le coup et qu’un hélico allait débouler. Quand on l’a vu approcher, j’ai envoyé de la fumée jaune dans la rizière. La grenade n’a pas bien pété et il n’y avait qu’un tout petit filet de fumée qui sortait ; elle a fini par s’enfoncer dans la boue. Un autre gars en a essayé une rouge et l’hélico l’a repérée. On a avancé dans cette tempête de boue tout en transportant Paige, Ortez et d’autres gars.
Après ça, les engins ont formé une ligne droite et sont repartis. On marchait entre les monstres et derrière eux, à la recherche de McElhaney. La boue nous arrivait jusqu’aux genoux, par moments l’eau atteignait l’entrejambe, et notre façon de marcher, les genoux bien hauts, ressemblait à celle des majorettes pour le défilé du 4 juillet. Sauf que c’était ignoble d’avancer comme ça. Personne ne voulait
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