Si je meurs au combat
être celui qui allait retrouver Mac. Le capitaine Smith était à la traîne. L’un des potes de McElhaney est venu nous taxer un clope, et puis il a marché à côté de moi. Il voulait pas trouver son petit pote et il parlait du bon vieux temps, quand lui, Mac et moi, étions les petits nouveaux de la compagnie.
— J’aurais jamais cru que tu tiendrais le coup aussi longtemps. Et puis p’t’être bien que j’me disais que Mac pourrait jamais s’en sortir non plus. Et moi, merde, j’vais aller à Chu Lai et à la première occase je m’engage. Bordel, je donnerais bien à l’armée trois ans de ma vie pour ne plus avoir à faire ce genre de conneries. Je déconne pas, putain. J’vais m’engager. Rien à foutre. Ces conneries-là, j’ai eu ma dose.
Devant, un gars a trouvé McElhaney sous soixante centimètres de flotte.
Il s’était pratiquement vidé de son sang. Déjà qu’il était pas grand.
Il était tout blanc, tout mouillé et couvert d’algues. Des gars l’ont délicatement enroulé dans un poncho. Ni les potes de Mac ni moi n’avons regardé. On s’est adossés à un engin et on a fumé nos clopes tout en matant de l’autre côté.
Le capitaine Smith est venu nous rejoindre. Il a sorti une vanne, il ne fumait pas, n’aidait pas les gars à s’occuper de McElhaney, et il nous a demandé ce qu’on pensait de tout ça.
— Chef, je crois qu’on devrait faire demi-tour avec les engins à chenilles et qu’on ferait bien de s’arracher de là. Voilà ce que j’en pense, chef.
— Eh ben, tu vois, mon petit Timmy, c’est pour ça que je suis officier. On a reçu des ordres.
— D’accord, chef. Mais si le chef qui est sur le terrain pense qu’il vaut mieux…
Le capitaine Smith a brusquement secoué un doigt sous mon nez, puis il s’est mis à faire le mariolle et à sourire comme un abruti.
— C’est vrai, mon petit Timmy, ça m’était presque sorti de la tête. Je vais peut-être aller parler de ta p’tite idée au chef des engins à chenilles. Merci bien, mon petit Timmy !
Mais les deux officiers n’étaient pas d’accord et ils ont fini par décider d’entrer dans le hameau. Là, Smith a demandé à la première section de sortir de la rizière et d’aller dans un coin sec, dans les bois, pour couvrir notre côté gauche – une grande digue de rizière qui devait faire dans les six mètres de large.
Les engins à chenilles ont commencé à avancer et les troupes suivaient tout doucement derrière. En chemin, on a ramassé une mitraillette, des fusils et des munitions. C’était les trucs qu’on avait bazardés quand on s’était repliés. On a fait cinquante mètres.
Et là, sur le côté droit, un type du groupe a déclenché une mine, un truc énorme. J’ai cru qu’ils nous tiraient dessus au mortier. Smith, qui était juste devant moi, s’est mis à gueuler « planquez-vous ! », alors tous les deux on s’est jetés dans la gadoue et on s’y est bien enfoncé.
On entendait des voix qui appelaient les toubibs, ça a commencé tout doucement, comme si les types posaient une question, comme s’ils étaient encore en état de choc, comme s’ils avaient peur de dire la vérité. Après ça, on s’est tous mis à hurler. Un toubib a traversé la rizière comme il a pu, dans un coin où il était complètement à découvert, en courant à grandes enjambées. Il s’est écroulé sur les genoux et a essayé, d’aider les morts, jusqu’au moment où il a compris qu’ils étaient bel et bien morts. Tout doucement, les autres toubibs sont arrivés. Ils en avaient ras le bol de foutre les doigts dans le sang.
Les engins se sont arrêtés, tout le monde a marché dans la flotte. On est allés s’asseoir et on a attendu près des digues. Barney m’a rejoint et m’a montré un trou de cinq centimètres dans sa gourde, à l’endroit où un éclat d’obus avait tapé.
— Pas mal, non ?
C’était un jeune soldat, et ça l’avait plus surpris qu’effrayé. Il s’est mis à sourire.
— Plutôt du bol, et puis c’est tout, j’aurai de bonnes histoires à raconter quand le bon vieil oiseau de la liberté va me ramener à la maison.
Le capitaine Smith est arrivé au galop et s’est assis sur la digue.
— Je me suis pris une petite égratignure avec cette mine. Là, matez un peu. Ça va me valoir une médaille.
Il m’a montré un petit trou dans sa chemise. On aurait dit que c’était le travail d’une mite tellement
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