Si je meurs au combat

même si l’on y était un peu à l’étroit – que je me suis installé pour attendre.

XXI

LES CŒURS ET LES ÂMES
    Le Chieu Hoi, un éclaireur de la compagnie Charlie, arrive dans le bâtiment du quartier général. Il est debout dans un coin et attend qu’un capitaine remarque sa présence. Là, il explique :
    — Chef, mon bébé est malade. Ma femme est à Tam Ky, à trente kilomètres d’ici. J’ai vraiment besoin d’un permis de trois jours pour aller la voir.
    Le capitaine lui répond :
    — Est-ce que ton bébé est vraiment malade, franchement ? J’en sais rien. Est-ce que t’aurais pas plutôt la trouille d’aller sur le terrain avec la compagnie Charlie, demain ? Comment ça se fait que ton bébé tombe malade pile au moment où la compagnie Charlie part sur le terrain ?
    Tout doucement, mal à l’aise, le Chieu Hoi insiste :
    — Malade.
    Le capitaine s’enfonce bien au fond de sa chaise et se fait basculer sur les pattes arrière.
    — Écoute, t’es un mec de valeur, pour nous. Tu sais des choses que nous autres, les soldats américains, on sait pas – sur les mines, les bombes piégées, comment trouver tous ces trucs sans se faire péter une jambe. Un gars comme toi, ça peut repérer une embuscade à temps pour sauver des vies. Ils ont besoin de toi, là-bas. T’es payé pour aller sur le terrain, demain, pas pour te casser avec un permis dans la poche.
    Déconcerté, le Chieu Hoi lui dit :
    — Pas comme ça. Le bébé est malade. Le docteur…
    — Écoute-moi bien, interrompt le capitaine d’un ton sévère, fatigué de l’entendre. Qu’est-ce que je fais, moi, quand mon bébé tombe malade ? Bordel, ma femme et mes gamins sont à des milliers de kilomètres. Quand mes gamins sont malades, ma femme les emmène chez le toubib, c’est aussi simple que ça. Ou alors, elle va à la pharmacie et elle achète des pilules. Simple comme bonjour. C’est comme ça que ça marche. Mais je saute pas dans le premier avion quand j’apprends que mes gamins ont de la fièvre.
    Le Chieu Hoi lui répond :
    — Pas beaucoup de bons docteurs, ici. Femme a peur.
    — Bordel de merde, ce qu’on a, là, c’est ta putain de guerre à toi. Je suis là pour faire la guerre avec toi et pour t’aider, et je vais pas me défiler. Mais toi aussi, faut que tu fasses des sacrifices. Dis-moi un peu comment on va gagner cette guerre avec toi et avec des mecs dans ton genre qui se barrent dès que ça commence à devenir chaud. Comment ? Putain, t’es un ancien Viêt-cong, tu sais ce qu’ils ont dans le crâne, où ils se planquent. Si je viens dans ton pays et que je me casse le cul, bon, tu crois pas que tu pourrais faire un effort, toi aussi, et aller au turbin comme tout le monde ?
    — Capitaine, vous, vous êtes ici pendant un an. Moi, je fais la guerre depuis des paquets de milliards d’années. Et il me reste encore des paquets de milliards d’années à tirer.
    Il a honte mais il n’est pas complètement paniqué. Il se retourne, il veut voir si les autres types qui se trouvent dans le bureau ne peuvent pas lui venir en aide. La fierté d’un type risque toujours d’en prendre un coup quand il demande une faveur. Car il souffre d’être pris pour un lâche.
    Le capitaine reprend :
    — Cela dit, écoute-moi bien, je voudrais vraiment pouvoir faire quelque chose pour toi. Mais je suis un militaire, comme toi, comme tout le monde ici présent. Sacrifice – c’est le nom de ce petit manège. À ta place, j’irais retrouver la compagnie Charlie et je préparerais mon barda pour aller sur le terrain. Va te boire une ou deux bières, ton gamin va s’en sortir.
    — Bébé très malade, peut-être mourir. Ma femme a peur.
    — Eh ben, les gars de Charlie, eux aussi, ils ont peur. Tu peux peut-être sauver la peau de quelques-uns de ces types. Le bébé, tu vas pas le sauver.
    — Ils m’aiment pas, les gars de la compagnie Charlie.
    — Bon, voilà, maintenant, tu craches le morceau. Et comment ça se fait, hein ? Il doit bien y avoir une raison…
    — Je suis Chieu Hoi, un ancien Viêt-cong.
    — Merde alors, si tu leur sauves la peau, ils vont t’adorer ! Soyons clairs, si tu fais ton boulot et si tu leur files un coup de main, t’inquiète, ils vont t’adorer. Commence par te faire respecter, et là, zéro problème. La compagnie Charlie va t’adorer. Et pour ton gamin aussi, tout va bien se passer.
    Le Chieu Hoi marmonne :
    — C’est jamais