Sir Nigel
ceux qui le suivaient, on ne
comptait que trois chevaliers et soixante-dix Anglais. Le reste
était constitué d’un mélange de Hainuyers et de mercenaires
germains, vaillants soldats pris individuellement, ainsi que l’ont
toujours été ceux de cette race, mais qui n’avaient aucun intérêt
dans la cause pour laquelle ils combattaient et qui n’étaient liés
entre eux par aucun lien commun de sang ni de tradition.
En revanche, les castels environnants, et
notamment celui de Jocelyn, étaient occupés par de puissantes
forces de Bretons enthousiastes, enflammés par un patriotisme
commun et débordants d’ardeur guerrière. Robert de Beaumanoir, le
fier sénéchal de la maison de Rohan, lançait de fréquentes
incursions contre Ploërmel, de sorte que la ville et le château
redoutaient chaque jour de se trouver assiégés. Plusieurs petits
groupes de la faction anglaise avaient été éliminés et
massacrés.
Telle était la situation de la garnison de
Bambro, en ce soir de mars où Knolles et ses hommes occupèrent la
cour de justice de son château.
Bambro les attendait dans le flamboiement des
torches de la seconde porte. C’était un homme dur et sec, de courte
taille, aux petits yeux ronds et noirs et aux gestes furtifs. À
côté de lui, et formant un étrange contraste, se tenait son écuyer,
Croquart, un Allemand, dont le nom et la gloire s’étaient déjà
étendus au loin bien que, tout comme Knolles lui-même, il eût
débuté comme simple page. Très grand, pourvu de très larges épaules
et d’une paire de mains immenses avec lesquelles il pouvait briser
un fer à cheval, il était en général lent et lymphatique, sauf
lorsqu’il s’énervait. Son calme visage clair, ses yeux bleus et ses
longs cheveux blonds lui donnaient une apparence si débonnaire que
personne n’aurait pu croire qu’il fût un guerrier aussi redoutable,
mais dans un accès de mauvaise humeur il faisait le vide autour de
lui, tel un géant d’acier au premier rang de la bataille.
Le petit chevalier et le grand écuyer étaient
côte à côte sous l’arche du donjon pour souhaiter la bienvenue aux
nouveaux arrivants tandis qu’une foule de soldats se précipitaient
pour embrasser leurs compagnons et les conduire là où ils
pourraient se restaurer et s’amuser.
Le souper avait été servi dans la grande salle
du château ; chevaliers et écuyers s’y rassemblèrent. Bambro
et Croquart s’y trouvaient avec Sir Hugh Calverly, vieil ami et
concitoyen de Knolles, puisque tous deux étaient originaires de
Chester. Sir Hugh était un homme de taille moyenne, aux cheveux
blonds, aux yeux gris, durs et fiers, et au large nez balafré par
un coup d’épée. Là aussi se trouvaient Geoffroi d’Ardaine, jeune
seigneur breton ; Sir Thomas Belford, Anglais petit et trapu,
venant des Midlands ; Sir Thomas Walton, dont les armes aux
merlettes écarlates indiquaient qu’il appartenait aux Walton du
Surrey ; James Marshall et John Russell, jeunes écuyers
anglais, et les deux frères Richard et Hugues Le Galliard, de sang
gascon. En plus, on trouvait encore quelques écuyers sans renom et
les nouveaux venus, Sir Robert Knolles, Sir Thomas Percy, Nigel
Loring ainsi que deux autres squires : Allington et Parsons.
Telle était la compagnie qui se rassembla à la lueur des flambeaux
autour de la table du sénéchal de Ploërmel et y fit bombance d’un
cœur léger à la pensée des nobles actions d’éclat qui se trouvaient
à leur portée.
Le maître de maison gardait cependant un
visage sombre. Sir Richard Bambro était assis, le menton dans les
mains et les yeux fixés sur le linge de table, au milieu des bruits
de la conversation, chacun y allant de son projet sur une
entreprise qui pourrait maintenant être tentée. Sir Robert Knolles
était partisan d’une marche immédiate sur Jocelyn. Calverly pensait
qu’un raid pourrait être lancé vers le sud, où se trouvait le gros
des forces françaises. D’autres encore parlaient d’une attaque sur
Vannes.
Bambro écouta ces différentes opinions dans un
silence qu’il rompit par un juron, attirant l’attention de toute la
compagnie.
– N’en dites pas plus, messeigneurs,
cria-t-il, car vos paroles sont autant de coups de poignard que
vous m’enfoncez dans le cœur. Nous aurions pu faire cela et même
plus. Mais hélas, vous arrivez trop tard.
– Trop tard ? se récria Knolles. Que
voulez-vous dire, Richard ?
– Je regrette d’avoir à vous le
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