Sir Nigel
un
chat sauvage, Nigel les atteignit avant les geôliers. Ils firent
aussitôt demi-tour pour gagner l’escalier menant au passage, mais
Simon et ses compagnons en étaient plus près qu’eux. Deux gestes,
deux dagues volant dans la pièce, et les bandits qui exécutaient la
volonté du Boucher se trouvèrent étendus, sans vie, dans la chambre
des tortures.
Un murmure de joie et de prières s’éleva de
toutes les lèvres blanches. Une lumière d’espoir s’alluma soudain
dans les yeux désespérés. Un long hurlement se serait élevé, si
Nigel n’avait étendu les bras pour demander le silence.
Il ouvrit la porte derrière eux. On devinait
dans l’obscurité un escalier en colimaçon. Il écouta, mais nul son
ne lui parvint. Une clé se trouvait dans la serrure du côté
extérieur de la porte de fer. Il la prit et verrouilla la porte de
l’intérieur. Ainsi, le terrain qu’ils avaient gagné leur était
acquis, et ils pouvaient se consacrer à soulager les malheureux
autour d’eux. Quelques coups puissants firent sauter les fers et
libérèrent les trois danseurs devant le feu. Avec un cri de joie,
ils se précipitèrent vers les tonneaux d’eau de leurs compagnons
et, y plongeant la tête tout comme des chevaux, ils burent, burent,
burent. Puis à leur tour les malheureuses créatures furent retirées
des cuves. Elles avaient la peau blanchie et ratatinée par ce bain
prolongé. Leurs liens furent arrachés, mais leurs membres engourdis
refusaient de bouger, si bien qu’elles se tordaient et se
traînaient sur le sol pour arriver près de Nigel et lui baiser la
main.
Dans un coin se trouvait Aylward, exténué de
froid et de faim. Nigel courut à lui et lui souleva la tête. Le
cruchon de vin des deux geôliers se trouvait toujours sur la table.
L’écuyer en porta un gobelet aux lèvres de l’archer, qui en but une
longue rasade.
– Comment te sens-tu maintenant,
Aylward ?
– Mieux, squire, mieux, mais j’espère
bien ne plus jamais toucher l’eau aussi longtemps que je vivrai.
Hélas, le pauvre Dicon s’en est allé, et Stephen aussi… J’ai froid
jusque dans la moelle des os. Je vous prie de me laisser m’appuyer
sur votre bras jusque près de ce feu afin que j’y puisse réchauffer
mes membres glacés et rétablir la circulation de mon sang.
Étrange spectacle que ces vingt hommes nus
accroupis en demi-cercle devant le feu et tendant leurs mains
tremblantes vers la flamme. Bientôt leurs langues se délièrent et
ils se mirent à raconter leurs malheurs, en y insérant de
nombreuses prières et actions de grâces à tous les saints pour leur
délivrance. Nulle nourriture n’avait franchi leurs lèvres depuis
leur capture. Le Boucher leur avait ordonné de se joindre à sa
garnison et de tirer sur leurs compagnons. Lorsqu’ils avaient
refusé, il en avait pris trois pour les exécuter.
Les autres avaient été traînés dans les caves
où le tyran les avait suivis. Il ne leur avait posé qu’une seule
question : avaient-ils le sang chaud ou étaient-ils
frileux ? Ils avaient été roués de coups jusqu’à ce qu’ils
répondissent. Trois d’entre eux s’étaient déclarés frileux et
avaient été condamnés au supplice du feu. Quant aux autres, ils
avaient été plongés dans les cuves d’eau pour rafraîchir leur sang
trop chaud. Régulièrement, l’homme était revenu pour jouir de leurs
souffrances et leur demander s’ils étaient prêts à entrer à son
service. Trois avaient accepté et avaient aussitôt été délivrés.
Mais les autres avaient tenu, dont deux d’entre eux jusqu’à la
mort.
Telle fut l’histoire que Nigel et ses
compagnons écoutèrent en attendant impatiemment l’arrivée de
Knolles et de ses hommes. Ils jetaient sans cesse des coups d’œil
anxieux vers le sombre tunnel mais pas le moindre scintillement
lumineux ni le moindre cliquetis métallique ne leur parvinrent de
ses profondeurs. Cependant un son lourd frappa leurs oreilles.
C’était un bruit métallique, lent et mesuré, qui se
rapprochait : le pas d’un homme en armure. Les malheureux
autour du feu, épuisés par la faim et la souffrance, se serrèrent
les uns contre les autres, le visage hagard et les yeux fixés sur
la porte.
– C’est lui ! murmurèrent-ils. C’est
le Boucher !
Nigel s’était précipité vers la porte et
écoutait. Point d’autres bruits de pas que ceux de l’homme.
Lorsqu’il s’en fut assuré, il tourna doucement la clé dans
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