Sir Nigel
du roi se trouvait sur l’ordre. Je
crains donc que pendant un an vous ne restiez à Jocelyn et nous à
Ploërmel, en tuant le temps comme nous le pourrons. Peut-être
pourrons-nous chasser le loup en commun dans la grande forêt ou
jeter nos faucons sur les rives du Duc.
– Nous le ferons sans aucun doute,
Richard, répondit Beaumanoir, mais, par saint Cadoc ! j’ai
dans l’esprit que, avec un peu de bonne volonté de part et d’autre,
nous pourrions satisfaire nos désirs, sans cependant aller contre
les ordres de nos rois.
Chevaliers et écuyers se penchèrent sur leurs
sièges, les yeux fixés sur lui. Il eut un large sourire en
regardant autour de lui le sénéchal parcheminé, le géant blond, la
fraîche et jeune figure de Nigel, les traits durs de Knolles, et le
visage de faucon de Calverly, tout brûlant du même désir.
– Je vois que je ne dois point douter de
la bonne volonté, reprit-il. J’en étais sûr d’ailleurs dès avant
que de venir vous parler. Mais songez que ces ordres s’appliquent à
la guerre et non aux défis, tournois, duels chevaleresques et
autres. Le roi Édouard est un trop grand chevalier, de même que le
roi Jean, pour s’opposer à un gentilhomme qui voudrait risquer sa
vie pour l’amour de sa dame. N’est-ce point ainsi ?
Un murmure d’assentiment s’éleva de la
table.
– Si vous, en tant que garnison de
Ploërmel, marchez sur la garnison de Jocelyn, il est clair que vous
romprez la paix et en porterez la responsabilité. Mais, s’il
s’élevait par exemple une querelle entre moi-même et ce jeune
écuyer dont les yeux me prouvent qu’il est avide de gloire et si,
dans la suite, d’autres venaient grossir les rangs des deux
parties, ce ne serait point la guerre, mais plutôt une affaire
privée qu’aucun roi ne pourrait empêcher.
– En effet, Robert, répondit Bambro, tout
ce que vous dites n’est que trop vrai.
Beaumanoir s’inclina vers Nigel, son verre à
la main.
– Votre nom, écuyer ?
– Nigel Loring, messire.
– Je vois que vous êtes jeune et ardent.
Je vous choisis donc, comme j’aurais aimé être choisi lorsque
j’avais votre âge.
– Je vous remercie, messire. C’est un
grand honneur pour moi qu’un guerrier aussi célèbre que vous
condescende à une passe d’armes avec moi.
– Mais il nous faut une cause de
querelle, Nigel. Ainsi donc, je bois aux dames de Bretagne qui, de
toutes les dames du monde, sont les plus belles et les plus
vertueuses, si bien que la moins digne d’entre elles vaut bien plus
encore que la meilleure d’Angleterre. Que répondez-vous à cela,
jeune seigneur ?
Nigel trempa le doigt dans son verre et, se
penchant, laissa une empreinte humide sur la main du Breton.
– Je vous réponds ceci au visage,
dit-il.
Beaumanoir essuya la goutte rouge et sourit
d’un air d’approbation.
– On n’aurait pu faire mieux, dit-il.
Pourquoi souiller mon mantelet de velours ainsi que maints fous à
la tête chaude l’auraient fait ? J’ai dans l’esprit, jeune
seigneur, que vous irez loin. Et maintenant, qui donc nous suit
dans cette querelle ?
Un grondement roula sur toute la table. Mais
les yeux de Beaumanoir en firent le tour et il secoua la tête.
– Hélas, dit-il, vous n’êtes que vingt
ici et ils sont trente à Jocelyn qui sont avides de se présenter.
Et si je retourne sans leur apporter l’espoir à tous, il y en aura
qui auront le cœur bien lourd. Je vous prie donc, Richard, puisque
nous nous sommes donné la peine d’arranger cela, de faire à votre
tour tout ce que vous pouvez. Ne vous serait-il point possible de
trouver dix autres hommes ?
– Mais ils ne seront point de sang
noble.
– Qu’importe, pourvu qu’ils veuillent se
battre.
– De cela, il ne faut point douter, car
le château est plein d’archers et d’hommes d’armes qui ne seraient
que trop heureux de jouer un rôle dans cette affaire.
– Choisissez-en dix, alors.
Pour la première fois, l’écuyer à la tête de
loup ouvrit la bouche.
– Monseigneur, vous n’admettrez certes
pas des archers.
– Je ne crains aucun homme.
– Mais, messire, songez qu’il s’agit
d’une passe d’armes entre nous, où l’homme fait face à l’homme.
Vous avez vu ces archers anglais et vous savez comme leurs traits
sont puissants et rapides. Songez donc que si dix d’entre eux se
trouvaient contre nous, il est vraisemblable que la moitié des
nôtres seraient étendus sur le terrain avant
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