Sir Nigel
fut en vain. La tête de Beaumanoir
tournait, ses esprits l’abandonnaient. Ses compagnons et lui-même
allaient succomber devant ce terrible cercle d’acier lorsque,
soudain, ce magnifique dispositif s’écroula devant lui. Ses
ennemis : Croquart, Knolles, Calverly, Belford, tous se
retrouvèrent étendus sur le sol, leurs armes éparpillées et leurs
corps trop fatigués pour se relever. Les Bretons survivants eurent
tout juste la force de se précipiter sur eux, une dague à la main
pour exiger leur reddition en pointant la lame acérée dans la fente
de la visière. Après quoi, vainqueurs et vaincus ne formèrent plus
qu’un seul tas, gémissant et geignant.
Dans l’esprit simple de Beaumanoir il semblait
que, au moment suprême, tous les saints de Bretagne s’étaient levés
à l’appel de leur pays. Et tandis qu’il était étendu, soufflant et
suant, son cœur déversa un flot de prières de remerciement à son
patron, saint Cadoc. Mais les spectateurs n’avaient que trop bien
vu la cause de cette soudaine victoire. Une tempête
d’applaudissements d’un côté et un ouragan de huées de l’autre
montrèrent la différence des sentiments qu’elle soulevait dans les
esprits de ceux qui sympathisaient soit avec les vainqueurs, soit
avec les vaincus.
Guillaume de Montauban, le rusé écuyer,
s’était frayé un chemin vers l’endroit où les chevaux étaient
entravés et avait enfourché son grand roussin. On avait d’abord cru
qu’il allait fuir le champ de bataille, mais les cris de
malédiction des paysans bretons s’étaient soudain transformés en
applaudissements lorsqu’il avait fait tourner la tête de sa monture
vers le cercle anglais en lui éperonnant violemment les flancs.
Ceux qui lui faisaient face avaient vu cette apparition soudaine.
Il avait été un temps où cheval et cavalier auraient dû reculer
devant leurs coups, mais ils n’étaient plus en état de soutenir un
tel choc. Ils ne pouvaient même plus lever les bras. Leurs coups
étaient trop faibles pour toucher cette puissante créature, qui
fonça dans leurs rangs, et sept d’entre eux se retrouvèrent sur le
sol. Il fit demi-tour et fonça de nouveau au milieu d’eux, en en
laissant cinq autres sous ses sabots. Inutile d’en faire davantage.
Déjà Beaumanoir et ses compagnons se trouvaient à l’intérieur du
cercle, les hommes étaient sans armes et Jocelyn avait remporté la
victoire.
Cette nuit-là, un groupe d’archers à la tête
basse et portant de nombreuses formes prostrées s’en retournèrent
tristement au château de Ploërmel. Derrière eux chevauchaient dix
hommes, tous fatigués et blessés et maudissant au fond du cœur
Guillaume de Montauban pour l’infâme moyen dont il avait usé contre
eux.
En revanche, à Jocelyn les vainqueurs étaient
portés, fleur au casque, sur les épaules d’une foule hurlante, au
milieu des éclats de trompe et des battements de tambour. Tel fut
le combat du Chêne, où de vaillants hommes rencontrèrent d’autres
vaillants hommes, où tous s’acquirent un tel honneur que, à partir
de ce jour, ceux qui avaient participé à la bataille des Trente se
virent octroyer les premières places partout. Et il n’était point
aisé de prétendre à tort d’y avoir participé, car le grand
chroniqueur qui les a tous si bien connus a prétendu que chacun
d’entre eux emporta dans la tombe les cicatrices des blessures
qu’il avait reçues dans cette rencontre.
Chapitre 24 COMMENT NIGEL FUT RAPPELÉ AUPRÈS DE SON MAÎTRE
« Ma douce Dame, écrivit Nigel d’une
écriture qui exigeait un œil d’amoureuse pour être déchiffrée,
durant le quatrième mercredi du carême, il se produisit une très
noble rencontre entre quelques-uns de nos gens et de très valeureux
chevaliers de ce pays, rencontre qui tourna, par la grâce de la
Vierge, en une si belle joute qu’on ne peut de mémoire d’homme en
retrouver de pareille. Grand honneur y fut gagné par le sieur de
Beaumanoir et par un Germain nommé Croquart, avec qui j’espère
avoir un mot lorsque je serai guéri, car c’est un homme excellent,
toujours prêt à se présenter au combat ou à relever le vœu d’un
autre. Pour ma part, j’avais espéré, avec l’aide de Dieu, accomplir
la troisième action d’éclat qui m’eût permis de retourner auprès de
vous. Mais il en fut tout autrement. Dès le début, je fus blessé et
de si peu d’appoint pour mes compagnons que j’en ai le cœur bien
lourd et
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