Sir Nigel
de chariots qui, chargés de butin pris dans le Sud de la
France, franchissaient la grande porte de la route de Libourne. La
ville était pleine de soldats de pied, car le prince n’avait emmené
avec lui que les hommes montés. Le visage sombre et les yeux
mélancoliques, ils regardaient défiler les chariots lourdement
chargés, sur lesquels étaient entassés les soies, les velours, les
tapisseries, les sculptures et les métaux précieux qui avaient fait
l’orgueil de plus d’une demeure seigneuriale de la belle Auvergne
ou du riche Bourbonnais.
Il ne faut pas croire que, dans ces guerres,
l’Angleterre se trouvait seule en face de la seule France. Il faut
savoir reconnaître la vérité. Deux provinces de France étaient
devenues anglaises par des unions royales. Ainsi donc la Guyenne et
la Gascogne fournissaient la plupart des vaillants soldats qui
combattaient sous la bannière à croix rouge. Un pays aussi pauvre
que l’Angleterre ne pouvait se permettre d’entretenir une grande
armée outre-mer. Voilà pourquoi elle perdit la guerre contre la
France, par suite du manque de forces pour poursuivre le combat. Le
système féodal permettait de rassembler rapidement une armée à peu
de frais, mais après quelques semaines, elle se dispersait assez
vite. On ne pouvait la garder qu’au moyen d’un coffre bien garni.
Il n’y avait point de ces coffres en Angleterre, et le roi se
demandait toujours comment maintenir ses hommes sur le champ de
bataille.
Mais la Guyenne et la Gascogne regorgeaient de
chevaliers et d’écuyers toujours prêts à se rassembler pour une
expédition contre la France. En y ajoutant les chevaliers anglais
qui ne se battaient que pour l’honneur et quelques milliers de ces
terribles archers payés à quatre pence par jour, cela constituait
une armée avec laquelle il était possible de mener une courte
campagne. Tel était l’ost du prince, fort de quelque huit mille
hommes, qui se déplaçait à ce moment en un grand cercle dans le Sud
de la France, laissant sur ses traces un pays ruiné et calciné.
Mais la France, même avec sa partie sud-ouest
entre les mains des Anglais, était toujours une puissance
redoutable, bien plus riche et plus peuplée que sa rivale. De
simples provinces étaient si grandes qu’elles étaient plus fortes
que nombre de royaumes. La Normandie au nord, la Bourgogne à l’est,
la Bretagne à l’ouest et le Languedoc au sud étaient capables
chacun d’équiper une puissante armée. C’est pourquoi le roi Jean,
considérant de Paris ce raid insolent contre ses possessions,
envoya en toute hâte des messagers à ses grands vassaux, ainsi
qu’en Lorraine, en Picardie, en Auvergne, au Hainaut, dans le
Vermandois, en Champagne et aux mercenaires germains au-delà de la
frontière orientale, leur enjoignant de se rendre à bride abattue à
Chartres, où ils devaient se grouper.
Dès le début de septembre, une grande armée
s’y était formée, tandis que les Anglais, ignorant sa présence,
saccageaient les villes et assiégeaient les châteaux, de Bourges à
Issoudun en passant par Romorantin et en poussant même jusqu’à
Vierzon et Tours. De semaine en semaine, il y eut de joyeuses
escarmouches, des assauts contre des forteresses aux cours desquels
il y eut beaucoup d’honneur à gagner, de chevaleresques rencontres
avec des groupes de Français et enfin d’occasionnelles joutes
lorsque de nobles champions s’offraient à risquer leur vie. Les
maisons aussi étaient pillées parce qu’on y trouvait du vin et des
femmes à profusion. Jamais ni les chevaliers ni les archers
n’avaient participé à une expédition aussi agréable et aussi
profitable. Ce fut donc le cœur haut et soutenu par la perspective
de beaux jours à Bordeaux, les poches pleines d’argent, que l’armée
tourna au sud de la Loire et reprit le chemin de la cité
portuaire.
Mais cette plaisante promenade se transforma
soudain en une guerre très sérieuse. Lorsque le prince se tourna
vers le sud, il se rendit compte que tout ravitaillement avait été
retiré de sa route. Il n’y avait ni avoine pour les chevaux ni
nourriture pour les hommes. Deux cents chariots chargés de butin
roulaient en tête de la colonne, mais les soldats affamés les
auraient bientôt échangés pour autant de pain et de viande. Les
troupes légères des Français les avaient précédés et avaient brûlé
ou détruit tout ce qui pouvait leur servir. Pour la première fois
aussi, le prince et
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