Sir Nigel
ce corps meurtri. Il
respirait irrégulièrement. Un peu de rouge lui revint aux joues
mais il resta inconscient des hurlements de la foule et du
grondement de la bataille qui avait repris.
Les Anglais s’étaient étendus, eux aussi,
suants et saignants. Et ils n’étaient guère en meilleur état que
leurs rivaux, sinon qu’ils restaient à vingt-neuf en lice. Mais sur
ce nombre neuf à peine étaient indemnes et certains étaient à tel
point affaiblis par la perte de sang qu’ils ne pouvaient se tenir
debout. Cependant, lorsque fut donné le signal de la reprise, il
n’y en eut pas un seul, d’un côté comme de l’autre, qui ne se remît
sur pieds pour s’avancer en titubant contre l’ennemi.
Mais l’ouverture de cette seconde phase du
combat amena un grand malheur et un gros découragement pour les
Anglais. Bambro, comme les autres, avait détaché sa visière, mais,
l’esprit plein de soucis, il avait oublié de la fixer à nouveau.
Lorsque les deux groupes se rencontrèrent, Alain de Karanais, le
Breton gaucher, surprit le visage de Bambro et aussitôt jeta sa
lance dans l’ouverture. Le chef anglais poussa un cri et tomba à
genoux, mais il parvint cependant à se remettre sur pied, trop
faible pour lever encore son bouclier. Comme il se tenait ainsi
exposé, le chevalier breton, Geoffroy Du Bois le Fort le frappa
d’un tel coup de sa hache qu’il transperça l’armure et la poitrine
qu’elle couvrait. Bambro tomba mort sur le coup et, pendant
quelques minutes, le combat fit rage autour de lui.
Les Anglais se retirèrent alors, abattus et
découragés, en emportant le corps de Bambro ; les Bretons de
leur côté se regroupaient dans leur camp en soufflant. À ce moment,
les trois prisonniers ramassèrent leurs armes éparses dans l’herbe
et s’en furent en courant rejoindre leur groupe.
– Holà ! cria Knolles qui s’avança
en levant sa visière. Cela ne peut se faire. Nous vous avons fait
quartier, alors que nous aurions pu vous abattre et, par la
Vierge ! je considérerai que vous vous déshonorez tous trois,
si vous ne revenez pas sur-le-champ.
– Ne dites point cela, Robert Knolles,
répondit Yvan Cheruel. Jamais encore le mot déshonneur n’a été
associé à mon nom, mais je me traiterais de lâche si je ne
retournais me battre auprès de mes compagnons lorsque les chances
me le permettent.
– Par saint Cadoc ! il dit vrai,
s’écria Beaumanoir, en s’avançant au-devant de ses hommes. Vous
n’êtes point sans savoir, Robert, qu’il est une loi de la guerre et
un usage de chevalerie selon lesquels un prisonnier se retrouve
libre, lorsque le chevalier qui l’a capturé est lui-même
abattu.
Il n’y avait rien à répondre à cela, et
Knolles, découragé, s’en fut rejoindre ses compagnons.
– Nous aurions dû les tuer, dit-il. Nous
perdons notre chef et eux gagnent trois hommes du même coup.
– Si l’un d’eux dépose encore les armes,
je vous donne l’ordre de le tuer aussitôt, fit Croquart dont l’épée
tordue et l’armure maculée de sang prouvaient à suffisance la
vaillance dont il avait fait preuve dans cette rencontre. Et
maintenant, mes amis, ne vous laissez point décourager parce que
nous avons perdu notre chef. J’ai en esprit que les rimes de Merlin
ne lui ont porté que peu de chance. Par les trois rois
d’Almain ! je peux vous enseigner quelque chose qui vaut mieux
que les prophéties d’une vieille femme : c’est de vous tenir
épaule contre épaule, et vos boucliers si serrés que personne ne
puisse passer au travers. Sachant ainsi ce qui se trouve sur vos
flancs, vous pourrez voir ce qui vient devant vous. De cette façon
aussi, si l’un de vous est si faible qu’il ne puisse plus lever les
mains, ses camarades à gauche et à droite pourront l’aider. Et
maintenant, avancez tous ensemble, au nom de Dieu, car la victoire
est encore nôtre si nous savons nous conduire en hommes.
Les Anglais s’avancèrent donc en une ligne
solide, et les Bretons s’élançaient vers eux comme auparavant. Le
plus rapide d’entre eux était un certain écuyer, Geoffroy Poulart,
qui portait un casque ressemblant à une tête de coq, avec une
grande crête par-dessus et, par-devant, un long bec percé de deux
trous. Il leva son épée pour en frapper Calverly, mais Belford, qui
se trouvait à son côté dans la ligne, leva son immense bâton et
porta au jeune écuyer un puissant coup de côté. L’homme tituba
puis, s’élançant de
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