Sir Nigel
de pardon. Je n’admettrai point que l’on fasse ainsi fi
de mon tribunal. Que celui qui tire l’épée périsse par
l’épée ! Forestier Hugh, mettez une flèche à votre
arc !
L’homme, un des serviteurs lais de l’abbaye,
pesa de tout son poids sur l’arc et fixa le bout libre de la corde
dans l’entaille supérieure, après quoi, saisissant une de ses
terribles flèches de trois pieds, à pointe de fer et ornées de
plumes, il la posa sur la corde.
– Bandez votre arc et tenez-vous prêt,
cria l’abbé furieux. Sir Nigel, il ne convient point à la sainte
Église de verser le sang, mais à la violence nous ne pouvons
opposer que la violence. Et que la faute en retombe sur votre
tête ! Jetez le glaive que vous tenez à la main !
– Me laisserez-vous quitter librement
cette abbaye ?
– Lorsque vous aurez purgé votre peine et
payé pour vos péchés.
– Dans ce cas, plutôt mourir ici que
rendre mon glaive.
Un éclair terrifiant scintilla dans l’œil de
l’abbé. Il descendait de combattants normands, comme tous ces fiers
prélats qui, portant une masse dans la crainte de verser le sang,
conduisaient leurs troupes au combat sans jamais oublier que
c’était un homme revêtu de leur robe et de leur dignité qui, la
crosse à la main, avait fait basculer le destin en cette sanglante
journée de Hastings. Les doux accents de l’homme d’Église avaient
disparu et ce fut la voix dure du soldat qui ordonna :
– Je vous accorde une minute et pas
plus ! Quand je crierai : Lâchez ! envoyez-lui une
flèche dans le corps.
Le trait fut fixé, l’arc bandé et l’œil du
forestier se fixa sur sa cible. La minute s’écoula lentement, et
Nigel mit ce temps à profit pour prier ses trois saints guerriers
non point de sauver son corps dans ce monde, mais de prendre soin
de son âme dans l’autre. Il songea une seconde à sortir en
bondissant comme un chat sauvage mais, une fois hors de son coin,
il était perdu. Cependant, il allait s’élancer au milieu de ses
ennemis et déjà il ployait le corps pour sauter lorsque, avec une
vibration sourde, la corde de l’arc se rompit, laissant la flèche
retomber à terre. Au même moment, un jeune archer bouclé, aux
larges épaules et au coffre profond qui dénotaient la force autant
que le visage franc et rieur, les grands yeux honnêtes signalaient
la bonne humeur et la vaillance, bondit de l’avant glaive en main
et se porta aux côtés de Nigel.
– Non, mes amis, lança-t-il, Samkin
Aylward ne restera point là à regarder un hardi gentilhomme abattu
comme un taureau à la fin du combat. Cinq contre un, c’est par
trop, mais deux contre quatre, voilà qui est mieux ! Et, sur
mes os, le squire Nigel et moi quitterons cette salle ensemble, que
ce soit sur nos pieds ou non.
L’allure puissante de cet allié et sa grande
réputation parmi ses amis donnaient un intérêt nouveau à l’ardeur
du combat. Le bras gauche d’Aylward était passé dans son arc bandé,
et il était connu de Woolmer Forest jusqu’au Weald comme l’archer
le plus rapide et le plus sûr qui eût jamais touché un daim courant
à deux cents pas.
– Eh non, Baddlesmere, ôte donc la main
de ton carquois, sans quoi elle va devoir prendre deux mois de
repos pour se cicatriser ! fit encore Aylward. Au glaive, si
vous voulez, mes amis, mais pas un homme ne touchera à son arc
aussi longtemps que je tiendrai le mien.
Les cœurs débordants de colère de l’abbé et du
procureur s’élevèrent dans un surcroît de rage devant ce nouvel
obstacle.
– Que voilà un mauvais jour pour votre
père Franklin Aylward qui possède une tenure à Crooksbury !
fit le procureur. Il regrettera à jamais d’avoir eu un fils qui lui
aura fait perdre ses terres et tous ses biens.
– Mon père est un valeureux yeoman qui
déplorerait bien plus encore que son fils restât impassible alors
qu’il se commet une lâcheté, rétorqua Aylward fièrement. Attaquez,
mes amis, nous vous attendons !
Encouragés par les promesses d’une récompense
s’ils se mettaient au service de l’abbaye et menacés de
représailles s’ils refusaient, les quatre archers allaient
s’avancer, lorsqu’une singulière interruption donna une tournure
nouvelle aux événements.
Tandis que se déroulait cette scène, un groupe
de frères lais, de serviteurs et de varlets s’était formé à la
porte du chapitre et ils suivaient le déroulement du drame avec
l’intérêt et le plaisir
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