Sir Nigel
la fleur de l’Écosse était restée sur le terrain et
que le monde avait compris pour la première fois qu’une force
nouvelle s’était levée dans les guerres, que l’archer anglais,
courageux et adroit à manier l’arme qui avait été son jouet dès
l’enfance, était un pouvoir avec lequel même la chevalerie en
cottes de mailles de toute l’Europe aurait à compter.
Sir John, retour d’Écosse, avait été nommé
premier veneur du roi, et toute l’Angleterre admira sa science
cynégétique jusqu’au moment où, devenu trop lourd pour les chevaux,
il se retira dans le modeste asile du vieux domaine de Cosford, sur
la pente orientale de la colline de Hindhead. Et là, à mesure que
son visage se faisait plus rubicond et sa barbe plus blanche, il
passait les derniers jours de sa vie au milieu des faucons et des
chiens de chasse, un flacon de vin épicé toujours à portée de sa
main, et un pied gonflé reposant sur un tabouret devant lui.
C’était là que maints anciens compagnons venaient rompre la
monotonie des jours, lorsqu’ils passaient sur la route poussiéreuse
menant de Londres à Portsmouth : c’était là aussi que venaient
les jeunes chevaliers du pays, désireux d’entendre les histoires
guerrières du vaillant chevalier, de s’initier aux secrets de la
forêt ou de la chasse, que personne n’aurait pu leur enseigner
mieux que lui.
Mais il est doux de dire, quoi qu’en pût
penser le vieux chevalier, que ce n’étaient pas ses vieux contes ni
ses vins plus vieux encore qui attiraient les jeunes gens à
Cosford, mais plutôt le gentil minois de sa fille cadette, ou l’âme
bien trempée et les sages conseils de son aînée. Jamais deux
branches aussi différentes n’avaient jailli du même tronc. Toutes
deux étaient élancées, avec un égal port de reine, mais toute
ressemblance commençait et finissait là.
Édith était aussi blonde que les blés, avec
des yeux bleus séduisants et malicieux, une langue bavarde, un rire
sonnant clair et un sourire qu’une douzaine de jeunes galants, avec
Nigel à leur tête, pouvaient se partager. Elle jouait, tel un
chaton, avec toutes choses qu’elle trouvait dans la vie, et
certains prétendaient qu’on pouvait déjà sentir les griffes sous
son toucher de velours.
Mary, noire comme la nuit, avait les traits
graves, un visage ouvert avec des yeux bruns contemplant bravement
le monde sous une arche de sourcils noirs. Personne n’eût pu dire
d’elle qu’elle était jolie et, lorsque sa fraîche petite sœur,
l’enlaçant de son bras, pressait sa joue contre la sienne, comme
elle en avait l’habitude lors des visites, la beauté de l’une et la
simplicité de l’autre n’en étaient que plus frappantes aux yeux de
tous les galants. Et cependant, de temps à autre, il en était un
qui, regardant cet étrange visage et la lointaine lueur dans ses
yeux sombres, sentait que cette femme silencieuse, avec son port
altier et sa grâce de souveraine, avait en elle une sorte de
puissance de réserve et de mystère qui signifiait plus pour lui que
l’éclatante beauté de sa sœur.
Telles étaient les dames de Cosford vers qui
Nigel Loring chevauchait ce soir-là, dans son pourpoint de velours
de Gênes, une nouvelle plume blanche à son chapeau.
Il avait franchi le pont de Thursley et passé
la vieille pierre où, à une lointaine époque, au lieu dit Thor, les
sauvages Saxons adoraient leur dieu de la guerre. Nigel y jeta un
regard soucieux et éperonna Pommers en passant, car on prétendait
encore que des feux follets y dansaient par les nuits sans lune. Et
ceux qui prêtaient l’oreille à ce genre d’histoires pouvaient
entendre les cris et les sanglots des malheureux à qui on avait
arraché la vie afin que le dieu fût honoré. La pierre de Thor,
l’obstacle de Thor, le tronc de Thor – tout le pays n’était qu’un
immense monument à ce dieu des batailles, bien que des moines pieux
eussent changé son nom en celui du démon son père. Ils parlaient,
eux, de l’Obstacle du diable et du Tronc du diable. Nigel jeta un
coup d’œil en arrière vers le bloc rocailleux et sentit un frisson
lui traverser le cœur. Était-il provoqué par l’air frais du soir ou
bien quelque voix intérieure lui avait-elle parlé du jour où lui
aussi serait étendu, ligoté sur un pareil rocher avec une bande de
païens barbouillés de sang, dansant et hurlant autour de
lui ?
Un instant plus tard, le rocher, sa crainte et
toutes ces
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