Sir Nigel
l’honneur. Je vous supplie de me laisser me jeter
dans cette aventure car elle est de celles, si elle est bien menée,
où l’on peut se faire un bel et honorable avancement.
Édouard tourna ses yeux pétillants vers le
noble et jeune garçon à ses côtés.
– Jamais chien courant ne fut plus
acharné sur la trace d’un cerf que vous ne l’êtes lorsqu’il s’agit
d’honneur, mon fils. Et comment donc concevez-vous la
chose ?
– Chargny et ses hommes valent qu’on
aille loin pour les rencontrer, car il aura sans aucun doute
l’élite de France sous sa bannière, cette nuit-là. En agissant
ainsi que cet homme le propose et en l’attendant avec un nombre
égal de lances, je ne crois pas qu’il puisse y avoir un autre point
de la chrétienté où l’on préférerait être plutôt qu’à Calais cette
nuit-là.
– Par la sainte Croix, mon fils, vous
avez raison ! cria le roi dont le visage s’illumina à cette
pensée. Mais voyons, lequel de vous deux, John Chandos ou Walter
Manny, va s’occuper de la chose ?
Il les regarda malicieusement, l’un après
l’autre, comme un maître qui fait danser un os entre deux chiens.
Et l’on pouvait lire dans leurs yeux tout ce qu’ils avaient à
dire.
– Non, John, ne le prenez point mal, mais
c’est au tour de Walter, cette fois.
– N’irons-nous point tous, sous votre
bannière, sire, ou sous celle du prince ?
– Non, il ne sied point que le royal
étendard d’Angleterre soit lancé dans une si petite entreprise.
Cependant, si vous avez de la place dans vos rangs pour deux
chevaliers, le prince et moi-même vous accompagnerons.
Le jeune homme s’inclina et baisa la main de
son père.
– Chargez-vous de cet homme, Walter, et
faites-en ce que bon vous semblera. Mais gardez-le bien, de crainte
qu’il ne nous trahisse derechef. Et débarrassez-en ma vue car son
souffle empoisonne l’air… Maintenant, Nigel, si votre digne barbu
veut taquiner le luth et chanter pour nous… Mais, pardieu !
que voulez-vous ?
Il s’était retourné pour trouver son jeune
hôte à genoux, la tête courbée.
– Qu’y a-t-il, mon ami ? Que
désirez-vous ?
– Une faveur, sire.
– Eh bien, n’aurai-je donc point de paix
ce soir, avec un traître à genoux devant moi, et un vrai
gentilhomme à genoux derrière ? Il suffit, Nigel. Que
voulez-vous ?
– Vous accompagner à Calais.
– Par la sainte Croix, voilà une juste
requête, d’autant plus que le complot fut découvert sous votre
toit… Qu’en dites-vous, Walter ? Le prenez-vous ?
– Dites-moi plutôt si vous me prenez, fit
Chandos. Nous sommes rivaux en honneur, Walter, mais je suis bien
sûr que vous ne me refuserez point.
– Non, John, je serai fier d’avoir sous
ma bannière la meilleure lance de toute la chrétienté.
– Et moi, de suivre un chef aussi
chevaleresque. Mais Nigel Loring est mon écuyer. Ainsi donc, il
viendra avec nous.
– Voilà la question réglée, fit le roi.
Et maintenant, il n’est plus besoin de nous hâter puisqu’il ne se
passera rien avant le changement de lune. Je vous prie donc de
faire circuler la buire et de porter un toast avec moi aux bons
chevaliers de France ! Puissent-ils être tous de grand cœur et
d’indomptable courage lorsque nous les rencontrerons dans les murs
de Calais !
Chapitre 11 DANS LE CHÂTEAU DE DUPPLIN
Le roi était venu et reparti. Le manoir de
Tilford avait retrouvé l’ombre et le silence, mais la joie régnait
dans ses murs. En l’espace d’une nuit, tous les ennuis étaient
tombés comme un noir rideau qui aurait caché le soleil. Une somme
royale avait été remise par l’argentier du roi, d’une façon telle
qu’on ne pouvait y opposer un refus. Avec un sac d’or dans les
fontes de sa selle, Nigel reprit le chemin de Guildford et il n’y
eut pas un seul mendiant qui n’eût à bénir son nom.
Il se rendit tout d’abord chez l’orfèvre à qui
il racheta le hanap, le plateau et le bracelet, se lamentant avec
le marchand sur le mauvais sort qui faisait que l’or et les objets
d’orfèvrerie, pour des raisons que pouvaient seuls comprendre les
gens de métier, avaient soudain augmenté de valeur durant la
dernière semaine, si bien que Nigel eut à ajouter cinquante pièces
d’or au prix qu’il avait touché. Et ce fut en vain que le fidèle
Aylward tonna, fulmina et pria pour que vînt le jour où il pourrait
lancer une flèche bien effilée dans la grosse bedaine du
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