Sir Nigel
n’importe quel chevalier et
n’importe quelle dame ! Qu’est-ce donc que cette façon de
parler ? Croyez-vous que ce soit un compliment ? Je
parlais de vous et de moi. Si l’on me faisait tort, seriez-vous mon
chevalier ?
– Mettez-moi à l’épreuve, Édith.
– C’est ce que je vais faire, Nigel. Sir
George Brocas et le squire de Fernhurst feraient tous deux avec
plaisir ce que je leur demanderais, mais c’est vers vous que je me
tourne, Nigel.
– Je vous prie de me dire de quoi il
s’agit.
– Vous connaissez Paul de la Fosse de
Shalford ?
– Vous voulez dire ce petit homme
bossu ?
– Il n’est pas plus petit que vous,
Nigel. Quant à son dos, je sais bien des gens qui aimeraient avoir
son visage.
– Je ne suis point juge de cela, et ce
n’était point par manque de courtoisie que je parlais ainsi. Mais
qu’y a-t-il au sujet de cet homme ?
– Il m’a raillée, Nigel, et j’en veux
tirer vengeance.
– Quoi ?… Cette pauvre créature
difforme ?
– Je vous dis qu’il m’a
offensée !
– Mais comment ?
– J’aimais à croire qu’un vrai chevalier
aurait couru à mon aide sans me poser toutes ces questions. Mais je
vous le dirai donc, puisqu’il le faut. Sachez qu’il est un de ceux
qui m’ont fait la cour en prétendant m’épouser un jour. Ensuite,
simplement parce qu’il a estimé que d’autres m’étaient aussi chers
que lui-même, il m’a délaissée et s’en est allé courtiser Maude
Twynham, cette petite villageoise friponne, au visage couvert de
taches de son.
– Mais comment en avez-vous pu être
offensée, puisque vous ne voulez point de cet homme ?
– Il était l’un de mes soupirants,
n’est-ce pas ? Il s’est joué de moi avec cette gamine. Il lui
a dit des choses sur mon compte, il m’a ridiculisée à ses yeux…
Oui, oui, je le vois sur son visage de safran et dans son regard
vitreux lorsque nous nous rencontrons sous le porche de la
chapelle, le dimanche. Elle sourit… oui, elle sourit en me
regardant. Nigel, allez le trouver ! Ne le tuez point ni ne le
blessez, mais ouvrez-lui simplement le visage d’un coup de votre
cravache, après quoi vous reviendrez vers moi pour me dire en quoi
je puis vous servir.
Le visage de Nigel était hagard, car le combat
qui se livrait en lui-même était crucial. Le désir bouillonnait
dans ses veines, cependant que sa raison le faisait frissonner
d’horreur.
– Par saint Paul, Édith !
s’écria-t-il. Je ne vois point l’honneur ni le profit à retirer de
ce que vous me demandez là. Siérait-il que j’aille frapper un homme
qui ne vaut guère mieux qu’un paralytique ? Non. Je ne puis
faire cela et vous prie, gente Dame, de me trouver une autre
épreuve.
Elle lui lança un regard de mépris.
– Et vous êtes un homme d’armes !
s’écria-t-elle en riant amèrement. Vous avez peur d’un petit homme
qui peut à peine marcher… Que oui, que oui, dites ce que bon vous
semblera, mais je prétendrai toujours, moi, que vous avez entendu
parler de son courage et de son adresse aux armes, et que le cœur
vous a manqué. Vous avez raison, Nigel, c’est en effet un homme
dangereux. Si vous aviez fait ce que je vous demandais, il aurait
pu vous pourfendre. Et, ainsi faisant, vous me prouvez votre
sagesse.
Nigel rougit et fronça les sourcils devant
l’insulte, mais il ne dit mot, car son esprit luttait ardemment
au-dedans de lui-même pour conserver vivace la haute image qu’il
s’était faite de cette femme qui, un moment, s’était trouvée sur ce
point de déchoir à ses yeux. Côte à côte et silencieux, le jeune
homme et la jeune damoiselle élancée, le destrier jaune et le blanc
genet remontèrent le sentier sablonneux et serpentant entre les
ajoncs et la fougère arborescente qui s’élevaient à hauteur
d’homme. Mais bientôt le chemin passa sous une entrée portant les
hures de Buttesthorn et, devant eux, s’étendit la maison basse et
longue, lourdement chargée de bois résonnant sous les abois des
chiens. Le chevalier, homme haut en couleur, s’avança les bras
tendus et, la voix tonnante :
– Tudieu, Nigel, rugit-il, sois le
bienvenu ! Je croyais que tu avais délaissé tes vieux amis
depuis que le roi avait fait tant de cas de toi… Paix,
Lydiard ! Couché, Pelamon : j’entends à peine ma propre
voix. Holà, Mary, une coupe de vin pour le jeune squire
Loring !
Mary se tenait dans l’embrasure de la porte,
grande, mystérieuse,
Weitere Kostenlose Bücher