Sir Nigel
silencieuse, avec son visage étrange et
empreint de sagesse, ses grands yeux interrogateurs reflétant la
richesse de son âme. Nigel baisa la main qu’elle lui tendait et, en
la voyant, il recouvra aussitôt sa confiance et son respect pour la
femme. Sa sœur s’était faufilée derrière elle et son visage sourit,
comme pour exprimer son pardon par-dessus l’épaule de Mary.
Le chevalier de Dupplin pesa de tout son poids
sur le bras du jeune homme et s’avança en clopinant à travers la
grande salle au haut plafond, vers son large siège de chêne.
– Allons, allons, Édith, un siège !
cria-t-il. Aussi vrai que Dieu est ma foi, cette jeune fille est
environnée de galants autant qu’un grenier de rats. Alors, Nigel,
on m’a raconté d’étranges choses sur tes passes d’armes à Tilford
et sur la visite que te fit le roi. Comment est-il ? Et mon
bon ami Chandos ? Ah, en avons-nous passé de bonnes heures
dans les bois ! Avec Manny aussi, qui a toujours été un
audacieux et rude cavalier. Quelles nouvelles m’apportes-tu
d’eux ?
Nigel raconta au vieux chevalier tout ce qui
s’était passé, ne disant que peu de chose de ses succès, mais
beaucoup de son échec. Cependant, les yeux de la jeune femme aux
cheveux noirs brillaient d’un éclat plus vif à écouter, assise à sa
tapisserie.
Sir John suivit l’histoire avec un feu roulant
de jurons, de prières, de serrements de poings et de coups de
canne.
– Eh bien, mon garçon, tu n’aurais
vraiment pu espérer tenir contre Manny, mais tu t’es vaillamment
comporté. Nous sommes fiers de toi, Nigel, car tu es un homme de
chez nous, élevé au pays de la bruyère. Mais j’ai honte que tu ne
sois point mieux versé dans les mystères sylvestres, d’autant plus
que je fus ton maître – et personne dans toute la grande Angleterre
ne s’y connaît davantage. Remplis ta coupe, je te prie, pendant que
je mets à profit le peu de temps qui nous reste.
Et aussitôt le vieux chevalier entreprit un
cours, aussi long qu’ennuyeux, sur les époques d’accouplement, les
saisons particulières à chaque oiseau, avec de nombreuses
anecdotes, illustrations, règles et exceptions, le tout tiré de son
expérience personnelle. Il parla aussi des différents rangs de la
chasse : comment le lièvre, le cerf et le sanglier prenaient
le pas sur le chevreuil, le daim, le renard, la martre et le
brocard, alors que ceux-ci venaient encore avant le blaireau, le
chat-cervier et la loutre qui constituaient le monde le plus humble
de la gent animale. Il parla encore des taches de sang :
comment le bon chasseur peut voir au premier coup d’œil si le sang
est sombre et écumant, ce qui signifie une blessure mortelle, ou
s’il est clair et léger, ce qui signifie que la flèche a touché un
os.
– À ces signes, ajouta-t-il, tu pourras
décider s’il convient de lâcher les chiens qui gênent le daim
touché dans sa fuite. Mais par-dessus tout, je te prie d’être
prudent dans l’usage des termes, de crainte de commettre une bévue
à table, ce qui permettrait à ceux qui s’y connaissent mieux de se
gausser de toi. Nous qui t’aimons en aurions honte.
– Non, sir John. Je crois qu’après vos
leçons, je pourrai tenir ma place parmi les autres.
Le vieux chevalier secoua sa vieille tête
blanche d’un air de doute.
– Il y a tant à apprendre qu’on ne
pourrait dire de personne qu’il sait tout. Ainsi, par exemple,
Nigel, chaque animal de la forêt, chaque oiseau qui vole dans les
airs a son nom propre, afin qu’on ne puisse confondre.
– Je le sais, seigneur.
– Tu le sais, Nigel, mais tu ne connais
point tous ces noms, sans quoi tu serais bien plus instruit que je
ne le crois. En vérité, personne ne peut dire qu’il les connaît
tous, bien qu’un jour, à la cour, j’aie tenu la gageure d’en
pouvoir citer quatre-vingt-six. Mais on prétend que le veneur en
chef du duc de Bourgogne en a dénombré plus de cent – cela dit, je
crois qu’il en a imaginé, car il n’y avait là personne pour le
contredire. Réponds-moi, mon garçon, comment dirais-tu que tu as vu
dix blaireaux dans la forêt ?
– Un groupe de blaireaux, seigneur.
– Bravo, Nigel, bravo sur ma foi !
Et si tu te promenais dans la forêt de Woolmer et que tu rencontres
plusieurs renards, que dirais-tu ?
– Les renards vont en bande.
– Et s’il s’agit de lions ?
– Il est peu vraisemblable, seigneur, que
je rencontre des lions dans la
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