Sir Nigel
balivernes lui étaient sortis de l’esprit. Car là, au
bas du sentier sablonneux, le soleil couchant brillant sur ses
cheveux d’or tandis que sa mince silhouette sautait au rythme du
cheval lancé au petit galop, là devant lui, se trouvait la jolie
Édith dont le visage était si souvent venu s’interposer entre ses
rêves et lui. Le sang lui monta au visage, car il avait beau
n’avoir peur de rien, son esprit était attiré et dominé par le
mystère délicat de la femme. Pour son âme pure et chevaleresque,
chaque femme, et non seulement Édith, était assise bien haut, comme
sur un trône, entourée de mille qualités mystiques et de vertus qui
la plaçaient au-dessus du monde rude des hommes. On trouvait de la
joie à son contact, mais aussi de la crainte ; crainte que son
propre manque de mérite ; sa langue peu habituée ou quelque
manière peu délicate ne vînt briser ces liens qui l’unissaient à
cette chose tendre. Telle était sa pensée au moment où le cheval
blanc s’avança vers lui. Mais aussitôt ses vagues frayeurs furent
apaisées par la voix fraîche de la jeune fille, qui agita sa
cravache pour le saluer.
– Salut à vous, Nigel ! lui
cria-t-elle. Où donc courez-vous ce soir ? Je suis bien
certaine que ce n’est point pour voir vos amis de Cosford, car
jamais vous n’avez revêtu si beau pourpoint pour nous. Allons,
Nigel, son nom afin que je la puisse haïr pour toujours !
– Non, Édith, répondit le jeune homme en
riant à la souriante damoiselle. C’est en fait à Cosford que je me
rends.
– Alors donc je n’irai point plus loin et
m’en retournerai avec vous. Comment me trouvez-vous ?
La réponse de Nigel se lut dans ses yeux
lorsqu’il regarda le frais minois, les cheveux d’or, les prunelles
éclatantes et l’élégante silhouette revêtue d’une tenue d’écuyère
écarlate et noir.
– Vous êtes toujours aussi jolie,
Édith.
– Fi, quelle froideur de langage !
Vous avez été élevé pour vivre dans un cloître et non dans le
boudoir d’une dame, mon pauvre Nigel. Si j’avais posé pareille
question au jeune Sir George Brocas ou au squire de Fernhurst, ils
n’auraient point tari d’éloges depuis ce moment jusqu’à Cosford.
Ils sont tous deux bien plus de mon goût que vous, Nigel.
– Voilà qui est bien triste pour moi,
Édith.
– Certes, mais il ne faut point perdre
courage.
– L’aurais-je déjà perdu ?
– Voilà qui est mieux. Vous pouvez avoir
l’esprit vif lorsque vous le voulez, maître Malapert, mais vous
êtes mieux fait pour parler de choses élevées et ennuyeuses avec ma
sœur Mary. Elle ne goûterait guère la courtoisie et les fadaises de
Sir George, et moi, j’en suis folle. Mais dites-moi, Nigel,
qu’est-ce donc qui vous amène à Cosford, ce soir ?
– Je viens vous faire mes adieux.
– À moi seule ?
– Non, Édith, à vous, à votre sœur Mary
et au bon chevalier votre père.
– Sir George m’eût dit qu’il était venu
pour moi seule. Ah, que vous voilà pauvre courtisan à côté de
lui ! Ainsi donc, c’est vrai Nigel ? Vous partez pour la
France ?
– Oui, Édith.
– C’est ce que m’avait rapporté la rumeur
après le passage du roi à Tilford. On prétendait qu’il allait
partir pour la France et que vous l’accompagneriez. Est-ce
vrai ?
– Oui, Édith, c’est la vérité.
– Dites-moi donc de quel côté vous allez,
et quand.
– Cela, hélas, je ne le puis dire.
– Oh, en vérité ?
Elle rejeta la tête en arrière et se tut, les
lèvres serrées et la colère dans les yeux. Nigel la regarda,
surpris et désespéré.
– Il me semble, Édith, dit-il enfin, que
vous faites bien peu de cas de mon honneur en souhaitant que je ne
tienne point la parole donnée.
– Votre honneur vous appartient et mes
désirs sont miens, dit-elle. Vous tenez à l’un. Je veux, moi, tenir
aux autres.
Ils poursuivirent en silence jusqu’au village
de Thursley. Mais à ce moment, elle eut une pensée. Elle en oublia
aussitôt sa colère pour s’abandonner à sa nouvelle fantaisie.
– Que feriez-vous, Nigel, si j’étais
offensée ? J’ai ouï dire à mon père que, si petit que vous
soyez, il n’est pas un homme dans le pays qui puisse vous résister.
Seriez-vous mon chevalier servant, si l’on me faisait
tort ?
– N’importe quel gentilhomme de sang
noble se ferait sans doute le chevalier servant d’une dame à qui il
eût été fait tort.
– Oui,
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