Sir Nigel
dire qui
vous êtes et pour quelle raison vous soufflez ainsi dans cet
olifant !
Le bonhomme secoua la tête et Nigel répéta la
question en français, qui était pour lors la langue de la
chevalerie, parlée par tous les gentilshommes de l’Europe
occidentale. L’homme porta la trompe aux lèvres et en tira une
longue note avant de répondre :
– Je suis Gaston de Castrier, humble
écuyer du très noble et très vaillant chevalier Raoul de Tubiers,
de Pestels, de Grimsard, de Mersac, de Leoy, de Bastanac, qui se
dit aussi Lord de Pons. J’ai pour ordre de chevaucher toujours à un
mille devant lui afin que chacun se prépare à le recevoir et, s’il
désire que je sonne de la trompe, ce n’est point par vaine gloire
mais par grandeur d’âme, afin qu’aucun de ceux qui le voudraient
rencontrer n’ignore point sa venue.
Nigel bondit à bas de son cheval en poussant
un cri de joie et se mit à déboutonner son pourpoint.
– Vite, Aylward ! Vite ! Voici
venir un paladin. Aurons-nous jamais plus belle occasion ?
Détache mon armure cependant que je me dévêts. Bon seigneur, je
vous prie d’avertir votre très noble et vaillant maître qu’un
pauvre squire d’Angleterre le supplie de lui prêter attention et de
vouloir bien échanger quelques passes d’armes avec lui.
Mais Lord de Pons était déjà en vue. C’était
un homme de grande taille, monté sur un immense cheval : à eux
deux, ils semblaient remplir la sombre arche sous les chênes. Il
était vêtu d’une armure complète de couleur d’airain, n’exposant
que son visage dont on ne voyait que deux yeux arrogants et une
grande barbe noire qui s’échappait de l’ouverture et s’élargissait
sur son pectoral. Sur le cimier de son casque était fixé un petit
gant brun qui se balançait au rythme de la marche. Il portait une
longue lance munie en son bout d’une courte bannière rouge et
carrée, portant une hure de sanglier noire. Le même symbole était
gravé sur son bouclier. Il s’avançait lentement au travers de la
forêt, lourd et menaçant, dans le martèlement monotone des pattes
de son destrier, cependant que, devant lui, se faisait toujours
entendre la trompe, invitant tous les hommes à reconnaître sa
grandeur et à lui faire place avant qu’on les y forçât.
Jamais dans ses rêves Nigel n’avait eu
pareille vision pour lui réjouir le cœur et, tout en luttant avec
ses vêtements, les yeux fixés sur le prestigieux cavalier, il
marmonnait des prières d’actions de grâces au bon saint Paul qui
avait fait preuve de tant de bienveillance envers son humble et
indigne serviteur en le plaçant sur le chemin d’un aussi grand
gentilhomme.
Mais hélas, comme il arrive souvent que la
coupe nous soit arrachée des lèvres au dernier moment, cette chance
allait tourner soudain en un désastre tragique et inattendu –
désastre si étrange et si complet que, durant toute sa vie, Nigel,
à son seul souvenir, ne devait jamais manquer de s’empourprer. Il
s’activait à défaire son costume de chasse et, en hâte, s’était
déjà débarrassé de ses bottes, de son chapeau, de son manteau, de
ses chausses et de son pourpoint. Il ne lui restait qu’une sorte de
jupon rose et un caleçon de soie. Durant ce temps, Aylward
détachait le chargement avec l’intention de tendre son armure pièce
par pièce à son maître, lorsque l’écuyer lança un appel de trompe
dans l’oreille même du cheval de bât.
Au même instant, la bête se cabra et, avec la
précieuse armure qui lui battait les talons, s’élança au grand
galop sur la route qu’ils venaient de suivre. Aylward bondit sur sa
jument, lui laboura les flancs de ses éperons et se mit à galoper à
bride abattue derrière le fuyard. Ce fut ainsi que, en un instant,
Nigel se trouva privé de toute sa dignité, ayant perdu à la fois
deux de ses chevaux, son serviteur et son armure. Il resta donc
seul, en chemise et caleçon, au bord du chemin cependant que se
rapprochait la silhouette solennelle de Lord de Pons.
Le preux chevalier, dont l’esprit n’était
occupé que par la pensée de la jeune fille qu’il avait laissée à
Saint-Jean – celle même dont un des gants se balançait à son cimier
– n’avait rien remarqué de ce qui s’était passé. Tout ce que ses
yeux lui découvrirent donc, ce fut un grand cheval jaune entravé et
un petit homme, qui avait tout l’aspect d’un dément, puisqu’il
s’était hâtivement dévêtu dans la forêt
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