Sir Nigel
et en
invectivant son rival.
– Je pourrais l’abattre mais ne le ferai
point car les bons archers ne sont point monnaie courante, fit
Aylward. Et maintenant, mon bon seigneur, il nous faut continuer
car ils nous débordent de part et d’autre et s’ils arrivent
derrière nous, notre voyage sera vite terminé. Mais avant que de
m’en aller, j’aimerais transpercer d’une flèche ce cavalier qui les
conduit.
– Non, Aylward, je te prie de le laisser,
répondit Nigel. Si vilain soit-il, il n’en est pas moins un
gentilhomme qui doit mourir par une autre arme que la tienne.
– Comme il vous plaira, fit Aylward en
fronçant le sourcil. J’ai ouï dire que, lors des dernières guerres,
plus d’un prince ou baron français avait eu le malheur d’être
mortellement blessé par les traits des yeomen anglais, et que les
nobles d’Angleterre n’avaient été que trop heureux de se comporter
en simples spectateurs.
Nigel secoua tristement la tête.
– Ce que tu dis là est pure vérité,
archer, et ce n’est point chose neuve, puisque ce bon chevalier
Richard Cœur de Lion trouva une mort aussi basse, de même que
Harold le Saxon. Mais il s’agit ici d’une question privée et je ne
veux point que tu tires sur lui. Je ne puis non plus l’aller
provoquer moi-même car il est faible de corps, bien que pernicieux
d’esprit. C’est pourquoi nous poursuivrons notre chemin puisqu’il
n’y a ni profit ni honneur à gagner.
Et c’est ainsi, au milieu de l’amour et de la
haine, que Nigel fit ses adieux au pays de son enfance.
Ni Nigel ni Aylward n’avaient jamais quitté
leur terre. Ils s’élancèrent donc, le cœur léger et l’œil en éveil,
détaillant les tableaux variés de la nature et des hommes qui
défilaient devant eux car, aussi loin qu’on pouvait voir, la grande
route poussiéreuse qui traversait tout le Sud de l’Angleterre
fourmillait de monde : des pèlerins surtout, qui donnèrent
d’ailleurs à cette voie le nom de route des Pèlerins ; des
moines aussi, se rendant d’un monastère à l’autre :
bénédictins en noir, chartreux en blanc ou cisterciens aux deux
couleurs ; des frères des trois ordres mendiants :
dominicains noirs, carmes blancs ou franciscains gris ; des
marchands transportant vers l’est l’étain des Cornouailles, la
laine des comtés occidentaux ou le fer du Sussex, ou s’en
revenaient avec des velours de Gênes, des produits de Venise, des
vins de France, des armes d’Italie ou d’Espagne ; des
soldats : archers, couteliers ou hommes d’armes ; des
vagabonds enfin : ménestrels allant de foire en foire,
jongleurs, acrobates, dresseurs, charlatans et arracheurs de dents,
étudiants et mendiants, ou artisans libres.
Les deux premiers jours de voyage se passèrent
ainsi sans incidents, les deux compagnons étant trop avides de
regarder autour d’eux les gens qu’ils rencontraient et les paysages
qu’ils traversaient. Ils logèrent la première nuit au prieuré de
Godstone et, la seconde, dans une auberge sordide, rendez-vous des
rats et des moustiques, à un mille au sud du hameau de Mayfield.
Aylward se gratta avec vigueur et jura avec ferveur, mais Nigel
resta allongé, immobile et silencieux. Pour qui avait appris la
vieille loi de la chevalerie, ces petits maux de la vie
n’existaient pas. Il eût été contraire à sa dignité de les
remarquer. Le froid et la chaleur, la faim et la soif étaient
choses de peu d’importance pour un gentilhomme. L’armure de son âme
était si complète qu’elle était à l’épreuve non seulement des
grands malheurs de la vie, mais encore de ses petits inconvénients.
Ainsi donc Nigel, assailli par les mouches, demeura stoïquement
immobile sur sa couche, Aylward ne cessant, lui, de s’agiter.
Ils n’étaient plus loin du but de leur voyage,
mais à peine eurent-ils repris la route, à l’aube du troisième
jour, qu’ils firent une rencontre qui remplit le cœur de Nigel des
plus grands espoirs.
Au long de l’étroit sentier serpentant entre
les grands chênes chevauchait un homme sombre au teint bilieux,
vêtu d’un tabard écarlate et qui soufflait si fort dans une trompe
d’argent qu’ils entendirent ses appels bien avant que leurs yeux
pussent l’apercevoir. Il avançait avec lenteur, s’arrêtant tous les
cinquante pas pour faire résonner la forêt autour de lui d’un long
appel guerrier. Les deux compagnons allèrent à sa rencontre.
– Je vous prie, fit Nigel, de me
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