Sir Nigel
et se tenait là, l’air
furieux et couvert seulement de ses sous-vêtements, au milieu des
débris épars de son costume. Le noble Lord de Pons ne pouvait
attacher le moindre intérêt à pareil personnage. Il poursuivit donc
inexorablement son chemin, ses yeux arrogants fixés droit devant
lui, et ses pensées accrochées à la petite jeune fille de
Saint-Jean. C’est à peine s’il se rendit compte que le petit homme
en caleçon courait à côté de lui en le suppliant, en
l’implorant.
– Une heure seulement, très noble
seigneur, rien qu’une heure et un humble écuyer d’Angleterre se
considérera comme votre débiteur. Condescendez seulement à arrêter
votre cheval jusqu’à ce que me revienne mon armure. Ne voulez-vous
point vous arrêter pour vous livrer à quelques passes
d’armes ? Je vous implore, bon seigneur, de me consacrer un
peu de votre temps.
Lord de Pons fit un geste impatient de sa main
gantée, comme on chasse une mouche inopportune, mais lorsque les
clameurs de Nigel s’amplifièrent, il piqua son destrier de l’éperon
et, aussi bruyant qu’une paire de cymbales, disparut dans la forêt.
Il poursuivit ainsi sa route de façon majestueuse jusqu’à ce que
deux jours plus tard il fût occis par Lord Reginald Cobham dans un
champ près de Weybridge.
Quand, après une longue poursuite, Aylward eut
capturé le cheval de bât et l’eut ramené, il trouva son maître
assis sur un tronc d’arbre, le visage enfoui dans les mains et
l’esprit embrumé par la rage et l’humiliation. Ils ne dirent rien
car les mots étaient impuissants à exprimer ce qu’ils ressentaient,
et ils poursuivirent donc leur chemin en silence.
Mais ils découvrirent bientôt un paysage qui
arracha Nigel à ses sombres pensées. Devant eux se dressaient les
tours d’un immense bâtiment autour duquel s’étendait un petit
village grisâtre. Ils apprirent par un passant que c’étaient le
hameau et l’abbaye de Battle. Ils arrêtèrent leurs chevaux sur la
colline et regardèrent la vallée de la mort d’où, maintenant
encore, semble s’élever une odeur de sang. En bas, auprès du lac
sinistre et au milieu des buissons épars sur les flancs nus du
ravin, s’était déroulée cette longue bataille entre deux nobles
ennemis, bataille dont l’Angleterre entière fut le prix. Là, en
haut et au bas de la colline, pendant des heures, le combat avait
fait rage, jusqu’à ce que l’armée saxonne, le roi, sa cour, ses
chevaliers et ses affranchis eussent péri. Mais après tant de
luttes et de peines, de tyrannie, de sauvages révoltes et
d’oppression, Dieu avait enfin accompli son dessein, car Nigel le
Normand et Aylward le Saxon se trouvaient réunis le cœur débordant
de franche camaraderie et l’esprit plein du même respect, enrôlés
sous la même bannière et pour la même cause, partant livrer
bataille pour leur vieille mère l’Angleterre.
La longue chevauchée touchait à sa fin. Devant
eux s’étendait la mer bleue tachetée par les voiles blanches des
bateaux. Une fois encore, la route s’éleva de la plaine boisée vers
les maigres touffes herbeuses des downs calcaires. Au loin, à leur
droite, se dressait l’horrible forteresse de Pevensey, trapue et
puissante, semblable à un immense tas de pierres, avec des créneaux
scintillants sous les casques d’acier, et surmontée de la bannière
royale d’Angleterre. À gauche s’étendait une grande plaine,
couverte de marais et de roseaux, d’où s’élevait une seule colline
boisée, couronnée de tours, avec une nuée de mâts se dressant haut
au-dessus de la verdure à peu de distance vers le sud. Nigel
regarda en se protégeant les yeux de la main puis lança Pommers au
trot. La ville était Winchelsea. Au milieu de ces maisons sur les
hauteurs l’attendait le vaillant Chandos.
Chapitre 14 COMMENT NIGEL CHASSA LE FURET ROUGE
Ils franchirent un gué, suivirent un chemin
qui s’élevait en lacet puis, après avoir satisfait aux questions
posées par une garde d’hommes d’armes, ils furent autorisés à
passer l’arche de la porte Pipewell. Là, les attendant au milieu de
la rue, clignant de son œil unique, le soleil illuminant sa barbe
couleur citron, se tenait Chandos en personne, les jambes écartées,
les mains derrière le dos et un charmant sourire sur son étrange
visage au nez relevé.
– La bienvenue, Nigel ! cria-t-il,
et à toi aussi, brave archer. Je me promenais par hasard sur les
murs de la ville et,
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