Souvenir d'un officier de la grande armée
arrêta pas ; ils continuèrent à démolir le bâtiment, avec plus de fureur encore. Enfin, après la troisième lecture de la loi martiale, en présence d’un commissaire de police, le capitaine ordonna le feu. Un homme fut tué, et cinq blessés tombèrent à la première décharge dirigée contre la porte. On entra aussitôt dans le bâtiment, la baïonnette croisée, et tout rentra dans l’ordre pour le reste de la nuit.
La chaleur pendant cette journée fut excessive. Les hommes placés sur le péristyle du Panthéon, exposés pendant huit heures à l’action dévorante du soleil, furent accablés d’une soif qui les fatigua beaucoup. J’eus soin de leur faire donner de l’eau, acidulée avec du vinaigre, pour mieux les désaltérer et les empêcher d’être malades. Quelques habitants apportèrent du vin ; je l’aurais reçu avec reconnaissance, en tout autre circonstance ; mais dans celle-ci je craignais l’ivresse, les transports au cerveau, et les désordres que cela pouvait amener.
Par l’intermédiaire d’inoffensifs bourgeois qui m’étaient dévoués, j’avais conservé quelques relations avec le colonel et avec la caserne de Mouffetard, où étaient déposés tous les magasins d’habillement, les approvisionnements, les armes, les munitions de guerre, les archives du corps, etc. Ces moyens de communications finirent par me manquer, en sorte que je ne sus plus ce qui se passait, hors de l’enceinte que j’occupais. Je ne reçus jamais aucun argent de l’autorité, aucun avis, aucune instruction pour me guider ; j’étais entièrement livré à moi-même, ce dont, du reste, je me félicitai, pouvant me diriger d’après mes propres inspirations.
J’étais seul en armes, dans toute cette partie de Paris. Exceptés la place du Panthéon et quelques dépôts de régiments, bien barricadés dans leurs casernes, le peuple était maître de toute la rive gauche de la Seine. C’était dans le Paris de la rive droite que se livrait la bataille. Tous les postes, qu’on avait eu la sottise de ne pas faire rentrer dans leurs corps, avaient été, dès le matin, enlevés, désarmés, massacrés. La poudrière des Deux-Moulins était prise, les dépôts d’armes des mairies pillés, en sorte que la rébellion avait acquis dans la soirée une supériorité incontestable sur les défenseurs d’un trône qui, à l’entrée de la nuit, était irrévocablement perdu.
Vers dix heures, j’appris, par des hommes sur qui je pouvais compter, qu’on devait tenter un coup de main sur ma caserne, pour enlever les armes et la poudre qui s’y trouvaient ; que les troupes stationnées dans l’intérieur devaient se retirer sur les Tuileries, quand l’émeute ne gronderait plus autant. Tout paraissait assez calme devant moi et autour de moi. Les scènes affligeantes de la journée étaient terminées, mais ce pouvait bien être un calme trompeur, précurseur d’un orage qui pouvait fondre sur moi d’un instant à l’autre. Des barricades formidables s’élevaient entre la place et ma caserne, et dans toutes les rues qui conduisaient sur le boulevard extérieur. Ma présence sur cette place devenant inutile, je me décidai, d’après tout ce que j’apprenais, à sortir au plus vite de cette souricière, et à me retirer dans mes casernes Mouffetard et de Lourcine, soit pour veiller à leur conservation, soit pour y attendre la fin des événements.
Avant de commencer mon mouvement de retraite, j’envoyai couper les principaux débouchés des rues où je devais passer et faire suspendre la construction des barricades, pour effectuer en ordre cette évacuation volontaire. Je laissai, pour la garde de la prison militaire de Montaigne, ma compagnie et une section de voltigeurs. Tout s’opéra dans le plus profond silence, et avec la régularité d’une marche en retraite. Nous fûmes partout respectés et même favorablement accueillis sur notre passage. Les habitants de ces quartiers, moins agités que dans le centre de Paris, étaient intéressés à nous ménager ; il n’y avait que les exaltés, les forçats libérés dont le faubourg Saint-Marceau abonde, et les ivrognes qui pouvaient mettre obstacle à notre rentrée, pour faire naître des désordres, et quelques uns pour en profiter.
À onze heures du soir, j’étais rentré dans ma caserne. Immédiatement, les compagnies qui appartenaient à la caserne Lourcine rentrèrent de même chez elles. J’organisai mes moyens de
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